La dame de fer©Pathé Distribution

La Dame de fer : politique du roi Lear

Critique
de Phyllida Lloyd
104 minutes 2012

Meryl Streep en Margaret Thatcher. Il fallait sans doute tout le talent et l’aura de l’actrice d’Out of Africa et Le Choix de Sophie pour incarner à l’écran un personnage qui sert de repoussoir politique à tout ce qu’a produit le cinéma anglais indépendant depuis trente ans, de Ken Loach et Stephen Frears jusqu'à Steve Mac Queen (qui dans Hunger montrait le calvaire des grévistes de la faim de l’IRA face à l'intransigeance de la leader tory). Le pari à cet égard est indéniablement réussi : la composition de l’actrice américaine est le principal argument marketing du film (nomination aux Oscars comprise) ; c’en est aussi le principal, voire le seul, intérêt.

La Dame de fer repose en effet sur un parti pris assumé : vider la figure de l’ex-Prime Minister de toute substance historique et politique, en faire l’instrument d’une réflexion “shakespearienne” sur le pouvoir (sa conquête, son exercice et sa perte). A rebours de son engagement dans les années 80, Phyllida Lloyd revendique “l’apolitisme” de son film, demandant même ingénuement si “nous nous sommes déjà interrogés sur la politique du roi Lear ?” (extrait du dossier de presse du film)… Sur la femme politique qui a brisé les syndicats anglais, privatisé une partie de l’économie britannique, résisté, imperturbable, aux attentats de l’IRA, mis à genoux l’Argentine lors de la guerre des Malouines, nous n’apprendrons pas grand chose. Illustrée par quelques images d’archives, l’histoire politique de la Grande Bretagne se laisse seulement entrevoir par intermittence. Du rôle de Margaret Thatcher dans l’achèvement de la Guerre froide, de son importance cruciale dans les réformes libérales qui plonge le pays dans les inégalités sociales, de ses relations avec R. Reagan, M. Gorbatchev ou bien encore F. Mitterrand, il n’est presque jamais question. Le film préfère nous raconter la saga d’une fille d’épicier étrangère au cercle très fermé des gentlemen conservateurs, qui, à chaque étape de sa vie politique (jeune députée dans les années 1950, ministre de l’éducation dans le gouvernement Heath, Premier Ministre à partir de 1979), saura transformer la faiblesse de ses origines sociales et le handicap de son sexe en une surprenante machine de guerre politique.

Montrant Margaret Thatcher de nos jours, en butte aux assauts cruels de l’Alzheimer, le film se construit sur le leitmotiv de la mémoire : provoquées par la mise en contact avec des objets simples (une signature, un poste de radio, une balle de golfe…), les réminiscences permettent de retracer, par flash-backs successifs, le glorieux itinéraire de la « Dame de fer ». Pouvoir, raison d’Etat, dureté politique, tendresse sentimentale, larmes, trahison, solitude, folie, rien ne manque au tableau…
Dommage, pourra-t-on dire, alors que la crise de l’euro comme de l’Union européenne (qui pourrait aujourd’hui rappeler les funestes prédictions de M. Thatcher), ou les interrogations sur la viabilité d’une politique de réduction drastique des déficits publics remettent l’héritage de la Dame de Fer en débat. Quant à « l’apolitisme » revendiqué par le film, on rappellera que la figure de la « success story » (un individu s’affranchissant de ses déterminismes —sociaux, ethniques ou sexuels— pour triompher, à force de volonté, de l’adversité), est certes un schéma narratif prisé par le cinéma hollywoodien, mais aussi la figure préférée de la révolution conservatrice initiée par Mme Thatcher (voir Mona Cholet, Rêves de droite, qui analysait notamment le storytelling autour d’autres figures de femmes de pouvoir plus récentes).