Amour©Films du Losange

Amour : le vieil homme et la mort

Critique
de Michael Haneke
127 minutes 2012

Peu de films dans l’histoire du cinéma ont porté si haut la vertu du don, de la caritas, que le dernier film de l’autrichien Michael Haneke. Après avoir exploré le large spectre des turpitudes humaines (jusqu’à son magistral Ruban blanc, Palme d’or en 2010) dans des narrations parfois alambiquées, Haneke livre une épure bouleversante à la hauteur de la simplicité de son titre.

Amour raconte l’accompagnement en fin de vie d’Anne (Emmanuelle Riva) par Georges (Jean-Louis Trintignant), vieux couple aisé et cultivé qui a consacré sa vie à la musique. Le film les saisit dans la plénitude de leur troisième âge et dans l’évidence de leur complicité. Dès l’abord, il nous enchante par le raffinement des voix et le charme des dialogues. Mais en une scène magistrale, en jouant simplement sur le son off d’un robinet qui s’écoule, Haneke parvient à instiller la tension et à faire advenir le drame. Tout se jouera dans le vase clos grand appartement, et le film ne nous épargnera rien.
La simplicité du film met en relief la formidable humanité du personnage incarné par Jean-Louis Trintignant (que l’amour pour sa compagne transcende et sublime), tout autant qu’elle manifeste la maîtrise de la mise en scène, dont chaque choix de cadre, de coupe, de changement d’axe, participe de la tension de l'ensemble. L’indifférence (Isabelle Huppert, fille littéralement « séparée » de ses parents) ou la cruauté des vivants (l’aide-soignante), l’inexorable dégradation de l’état physique et mental, le retour à l’état d’enfance que le poète Philippe Jacottet a si bien exprimé dans Leçons au programme des Terminales littéraires cette année (faisant du mourant le « faible enfançon/dans le lit de nouveau trop grand/ enfant sans le secours des pleurs ») : ces thèmes ne sont pas simplement décrits mais plutôt « projetés » au spectateur. Ils l’invitent à recueillir profondément l’émotion du film pour réfléchir à sa propre nature, comme l’annonce la mise en abîme qui nous place dès l’entame face au public d’un théâtre.

Entré par une brutale effraction dans l’intimité de ce vieux couple (les pompiers qui découvrent le corps sans vie d’Emmanuelle Riva), le spectateur en ressortira « accompagné » par le spectre d’Anne, venu chercher Georges pour la rejoindre.  C’est le dernier miracle du film, qui en conjugant l’art (la musique de Schubert, mais aussi la peinture) et la simplicité poétique du quotidien (Anne qui fait la vaisselle) nous aura accompagnes dans les coulisses du Sermon sur la mort de Bossuet.