Capitalism : a love story © Michael Moore

Du popcorn et des fourches

Critique
de Michael Moore
126 minutes 2009

« Du popcorn et des fourches » : on ne saurait, mieux que le cinéaste lui-même (la formule est tirée du dossier de presse), résumer le cinéma de Michael Moore, ce mélange de divertissement à gros sabots et d’engagement radical, cette volonté paradoxale de satisfaire l’estomac du spectateur tout en réveillant la conscience du citoyen.

Capitalism : a love story se base sur une recette éprouvée : une bonne dose de farce (via les happenings dont il a le secret), quelques louches d’émotion (les petites gens broyés par le système, ici expropriés par la crise immobilière), enrobés par un sens inné du raccourci… Mais il y mêle, pour la première fois peut-être, un lancinant goût d’amertume, qui rend ce Moore-là plus intéressant et attachant que les précédents (Sicko, le dernier en date, accusait les limites de la « méthode Moore »). En revenant, accompagné de son père, sur les ruines du site General Motors de Flint, Michigan (où ce dernier travaillait), Moore ne fait pas seulement un retour sur l’Amérique industrieuse de son enfance, celle de la fin des Trente Glorieuses. Il revient également aux origines de son cinéma (Roger et moi, 1989), et reconnaît une forme d’impuissance. Après tout, Roger et moi et The Big One n’ont pas empêché la désindustrialisation des Etats-Unis, pas plus que Bowling for Columbine n’a fait avancer la législation sur les armes ou Sicko le dossier d’une assurance-santé universelle ; et Farenheit 9/11, malgré une Palme d’Or complaisante, n’a en rien contrarié la réélection de George W. Bush. L’autoproclamé (cf bande-annonce de Capitalism…) «  cinéaste le plus redouté au monde », ne serait-il qu’un tigre de papier ?
A la fois bilan et remise en cause, Capitalism : a love story s’interroge sur l’indécrottable foi des américains en un système qui fait objectivement le malheur de la grande majorité d’entre eux, sur l’incroyable résistance aux faits de l’idéologie du « rêve américain » et de la « liberté de choisir ». S’il lance quelques pistes, comme la collusion entre les pouvoirs politique et économique (ou plutôt le contrôle du second sur le premier), l’utilisation du mensonge et de la peur pour contrôler les masses (cf le parallèle entre les discours de George W. Bush sur la guerre en Irak et le plan de sauvetage des banques), s’il pose quelques balises historiques (ainsi le basculement de la « révolution conservatrice » reaganienne), Michael Moore pose cette fois-ci plus de questions qu'il n'en résout.
On l’aura compris, Capitalism : a love story n’est pas une leçon d’économie sur la crise des subprimes  ou alors une anti-leçon (à la manière des « anti-manuels » d’économie publié par Bernard Maris chez Breal). Plutôt que de se perdre dans les explications techniques ou d’envisager des « solutions à la crise », il s’interroge sur les racines idéologiques d’un système qui a mené le monde au bord de la ruine (en attendant de savoir ce que nous réserve l’avenir). A cet égard, autant sinon plus qu’en Sciences Economiques et Sociales, c’est en regard du programme d’Histoire de Terminale que le film nous paraît le plus instructif, pour l’étude et la contestation du modèle américain depuis la seconde moitié du XXIème siècle.