The Central Park five©D.R.

The Central Park Five : les coupables idéaux

Critique
de Ken Burns
119 minutes 2012

Il avait fait l’événement à Cannes avec le monumental The War (2007), documentaire fleuve de 14 heures sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Ken Burns aime prendre le temps de montrer la complexité des faits historiques, de les ausculter sous une multitude de points de vue, de donner la parole à une pluralité d’acteurs… 
Son nouveau long-métrage, The Central Park Five (co-réalisé avec sa fille et son gendre), ne déroge pas à son habitude même s’il arbore des dimensions plus raisonnables (un peu plus de deux heures « seulement »). Pour nous faire comprendre les ressorts de ce fait divers qui a marqué l’histoire du New York des années 1980, The Central Park Five prend le temps de nous replacer dans le contexte d’une ville à l’époque gangrénée par une violence endémique et de fortes tensions raciales, avant que le tournant sécuritaire de l’ère Giulani (élu maire en 1994) ne rende à la ville son lustre.
Puis il introduit patiemment les protagonistes, avant de décrire avec précision l’enchaînement des faits : à l’issue d’une nuit d’interrogatoires musclés, cinq adolescents de 14 ans à 16 ans avouent devant les caméras, avec un grand luxe de détails, un crime qu’ils n’ont jamais commis : le viol avec actes de barbarie d’une joggeuse dans un sous-bois du parc. Attrapés alors qu’ils participaient à d’autres violences, apprenant les faits de la bouche des policiers, les cinq accepteront de s’accuser les uns les autres en échange d’une sortie anticipée, sans savoir que le piège vient de se refermer sur eux… Le carriérisme des policiers ravis de fournir des suspects aussi rapidement au public, celui des juges d’obtenir une condamnation satisfaisant leurs électeurs, l’incompétence crasse des avocats, mais surtout la surmédiatisation de ce crime « exemplaire » (une blanche violée par des noirs dans cette sorte sanctuaire que constitue Central Park pour les new-yorkais) par la presse à grand tirage et les démagogues (le milliardaire Donald Trump achetant de pleines pages dans les journaux pour demander le rétablissement de la peine de mort), conduiront les jurs à commettre une terrible erreur judiciaire. Seul les aveux tardifs du meurtrier permettront de révéler la vérité, après que les cinq auront purgé chacun leur peine de prison.

The Central Park five n’a pas le côté « coup de poing » des fictions de procès dans lesquelles excelle Hollywood, ni même l’exemplarité d’Un coupable idéal de Jean-Xavier de Lestrade : les accusés n’étaient pas des anges (ils avaient la même nuit participé à plusieurs agressions), ils n’ont pas su se défendre individuellement ni se montrer collectivement solidaires, leurs avocats les ont très mal défendus… Mais la banalité voire la médiocrité de cette erreur judiciaire est d’autant plus passionnante à ausculter, en ce que ses différents aspects paraissent tristement reproductibles. Au cœur du film il y a ainsi une double interrogation sur la valeur judiciaire de l’aveu et le pouvoir des images : en l’absence de toute preuve matérielle (aucune trace d’ADN des accusés sur la victimes, malgré la violence du crime), en dépit des contradictions et invraisemblances de leurs dépositions, et malgré leurs rétractations ultérieures, les cinq de Central Park furent condamnés par les jurés (par ailleurs mis sous la pression de l'opinion) sur la seule foi de leur aveux filmés, et leur capacité à endosser les rôles que leurs interrogateurs avaient taillé pour eux. The Central Park five est donc un beau film sur la justice, et aussi un document historique intéressant sur une ville de New York moins glamour et séduisante que dans les guides touristiques ou les films américains indépendants.