Les adieux à la reine©Ad Vitam

"C'est véritablement la fin d'un monde que filme Benoît Jacquot"

Entretien
100 minutes 2012

Zérodeconduite.net : Qu’avez-vous pensé, en tant qu’historienne, spécialiste de la Révolution française et de Marie Antoinette, du film de Benoît Jacquot ?

Cécile Berly : Ce qui est un peu dommage d’un point de vue historique, mais c’est le parti pris du film, c’est que le contexte politique n’est pas explicité. Or le climat politique est bouillonnant à Versailles depuis le début des États généraux, particulièrement en ce début du mois de juillet. Le 9 juillet 1789, l’Assemblée nationale s’est déclarée constituante. Le 11 juillet, le roi a renvoyé Necker, qui était très populaire. Des troupes armées sont massées autour de Paris, qui vit dans la peur : c’est avant tout pour s’armer contre cette menace que le peuple va prendre la Bastille. Il y a un personnage qui s’appelle « La Panique » dans le roman de Chantal Thomas, c’est très révélateur de l’état d’esprit de la cour à cette période. Le film peut donner l’impression que Versailles est à l’écart de l’agitation politique, alors que l’Assemblée siège à l’Hôtel des Menus Plaisirs, que la ville de Versailles est pleine de députés et de journalistes. Tout cela, Benoît Jacquot choisit de le laisser hors champ. Dans une scène, Sidonie s’arrête aux portes de la salle des Menus Plaisirs, elle choisit de rester derrière la tenture (alors qu’elle pourrait parfaitement y entrer)…  Ce sur quoi le film insiste avec justesse en revanche, c’est sur l’évènement symbolique (car la forteresse n’avait aucune importance militaire) que constitue la prise de la Bastille : on réveille le Roi en pleine nuit, c’est totalement inédit dans l’histoire de l’absolutisme. L’autre grande réussite est la peinture d’un Versailles quasi insalubre, de ces nobles se tassant dans des appartements inconfortables pour être au plus près du Roi. Vivre « en ce pays-ci » comme on disait alors est ce qu’il y a de plus prestigieux à l’époque. Le film montre bien l’atmosphère d’inquiétude chez les courtisans, qui depuis mai vivent la peur au ventre, qui ne craignent qu’une chose, c’est que Paris se déplace à Versailles… C’est véritablement la fin d’un monde que film Benoît Jacquot, une ambiance à la Titanic, la désertion progressive des courtisans qui abandonnent le couple royal (lors des journées d’octobre 1789, Versailles sera vide).

Le film met l’accent sur la relation de la Reine avec Madame de Polignac.

Cécile Berly : Madame de Polignac est de toute petite noblesse, elle n’a aucune « légitimité » à la cour à la différence de la princesse de Lamballe qu’elle a supplanté dans le cœur de la Reine, qui était princesse du sang. Sa réussite sociale fulgurante (elle est élevée au rang de duchesse,  elle obtient la charge de gouvernante des Enfants royaux) a beaucoup choqué les courtisans, comme les choquaient la proximité de la Reine avec sa modiste Rose Bertin, une roturière. Les premiers pamphlets contre la Reine et sa « clique » viennent de Versailles même : les courtisans stipendiaient des plumes (comme Brissot), quand ils ne rédigeaient pas les libelles eux-mêmes à l’instar du comte de Provence. Ces écrits se lisaient sous les mansardes, s’échangeaient dans les couloirs, se vendaient dans les allées du jardin. Pendant des années les Français ont été habitués à lire ces écrits, ils ont participé au travail de sape de la monarchie. 

C’est de là que vient la légende noire de Marie-Antoinette ?

Cécile Berly : Ces écrits ont contribué à faire d’elle un bouc-émissaire, à la désigner comme responsable des maux du pays. On jase sur son influence sur les décisions du roi, influence largement fantasmée, même si le couple était uni par des liens de confiance et d’estime réciproque. Ces écrits ont également nourri la légende de ses turpitudes sexuelles (la pornographie naît au XVIIIème siècle), qui sera exploitée lors de son procès. Il faut comprendre que ce qui se joue là c’est aussi la place de la femme dans la vie publique. Il s’agit d’une question très sensible au XVIIIème siècle, que la Révolution résoudra dans la violence. La Révolution constitue une régression pour les femmes, elle les remet —littéralement— à leur place. Le procès de la Reine est ainsi une vaste mascarade, destinée à humilier la femme, autant sinon plus que la souveraine. La chronologie est très révélatrice sur ce point : toutes les grandes figures féminines de la Révolution (Mme Roland, Olympe de Gouges, Mme du Barry) ont été guillotinées à peu près au même moment. C’est également l’époque où l’on ferme les Clubs politiques féminins.

Que pensez-vous du portrait de la reine que fait le film ?

Cécile Berly : Je pense que la Marie-Antoinette de Benoît Jacquot fera date. Il a vraiment voulu traiter la reine de la Révolution (le film de Sofia Coppola s’arrêtait juste avant), ce qui est logique car sans la Révolution tout le monde l’aurait oubliée. Le portrait que fait le film est assez juste car il est nuancé. Il la montre comme une femme fragile mais qui a une certaine épaisseur, une femme éprise aussi, prisonnière d’une femme et d’une coterie. La relation avec Sidonie Laborde est assez vraisemblable : Marie Antoinette vouait un culte à la jeunesse, elle avait horreur de l’ennui… En revanche au moment que raconte le film, la reine portait le deuil de son fils (le dauphin était décédé le 4 juin 1789), dont la mort avait beaucoup affecté le couple royal. Par souci du spectacle et des beaux atours, le film a décidé de tordre un peu la réalité historique sur ce plan-là… Après le film de Sofia Coppola, la figure de Marie Antoinette est-elle revenue à la mode ? C’est une figure qui a toujours beaucoup intéressé les cinéastes, sans doute parce qu’elle est moins une figure politique qu’une figure du sensible. Dans la filmographie de la Révolution française, c’est la figure la plus mise en image, juste après Robespierre. Ce sont les Goncourt qui l’ont redécouverte au XIXème siècle, puis l’impératrice Eugénie a lancé une forme d’engouement sous le Second Empire. Au vingtième siècle Marie Antoinette n’est devenue que tardivement un objet d’histoire, grâce notamment à Chantal Thomas ou à à Mona Ozouf. 

A lire : Cécile Berly, La Reine scandaleuse, idées reçues sur Marie Antoinette, aux éditions Le Cavalier Bleu, 20 €