les heures sombres©Universal Pictures

Comment Churchill a mobilisé la langue anglaise et l’a envoyée au combat

Critique
de Joe Wright
126 minutes 2018

Qu’est-ce qui fait un homme d’État ? La question traverse Les Heures sombres comme elle parcourt El Presidente, deux films sortis en salles ce mercredi 3 janvier. Dans le long-métrage de Joe Wright, c’est un personnage historique qui fait naître cette réflexion : Les Heures sombres explore les jours décisifs de mai 1940, au cours desquels le tout nouveau Premier Ministre, Winston Churchill, doit faire face à l’avancée fulgurante des troupes nazies. Alors que les pays européens capitulent les uns après les autres, Churchill porte sur ses épaules la destinée de son pays et du monde, tiraillé entre sa conviction qu’une guerre totale est nécessaire et la possibilité que des négociations avec Hitler soient un meilleur moyen de garantir la survie de son pays.La grande réussite de Joe Wright est de substituer au film d’action - traitement cinématographique habituel des conflits - un film sur la parole. Ce qui est intéresse le réalisateur britannique, ce ne sont pas les grands gestes de la guerre (ce que montrait récemment le Dunkerque de Christopher Nolan), mais la façon dont le verbe politique forge le destin d’une nation. En toute logique, Les Heures sombres s’ouvre et se clôt sur des discours. Entre les deux, la faconde de Churchill déploie toute sa puissance, de sa promesse de « sang et de larmes » à sa détermination à « faire la guerre sur mer, sur terre et dans les airs ». Wright cherche l’origine de ces mots qui déterminèrent en leur temps le sort de l’Europe. Il la trouve dans le talent oratoire de Churchill autant que dans ses excès, ceux d’un homme caractériel et porté sur la bouteille. Il révèle aussi que cette parole inspirante naît parfois du mensonge, Churchill ne cessant de mettre en avant la victoire prochaine sur le nazisme pour préserver le moral de ses concitoyens. Comme l’exprime un député vers la fin du film, Churchill a « mobilisé la langue anglaise et l’a envoyée au combat ».Riche de ces ambivalences, le verbe peine néanmoins à prendre chair. Quelques morceaux de bravoure rappellent le talent de Wright pour dépeindre l’atmosphère d’une époque - un plan-séquence dans les rues de Londres, un autre sur les routes de l’exil en France, un troisième dans la forteresse assiégée de Calais. Mais l’inventivité sans limites du précédent film de Joe Wright, Anna Karénine, semble bien lointaine. Dans ce précédent film, le monde était un opéra, et la réalité ne cessait d’être rattrapée par sa mise en scène. Dans Les Heures sombres tout est aussi question de mise en scène - Churchill sait bien que l’image qu’il renvoie à son peuple et au monde est aussi importante que les décisions qu’il prend. Cette fois-ci pourtant, Joe Wright se contente de reconstituer, avec talent mais sans génie.
Malgré ces faiblesses, Les Heures sombres porte suffisamment de questionnements pour constituer un support pédagogique profitable. En cours d’anglais au cycle terminal, le film s’intègrera parfaitement dans les objets d’études « Mythes et héros » (pour étudier au plus près la figure de Winston Churchill) et « Lieux et formes du pouvoir » (le film parcourt en effet tous les lieux de pouvoir du Royaume-Uni de l’époque, de Westminster aux souterrains des Cabinet War Rooms en passant par le palais de Buckingham).