Después de Lucia©Bac Films

Después de Lucia : théâtre de la cruauté

Critique
de Michel Franco
103 minutes 2012

Le film déploie dans un premier temps l’histoire d’un deuil, le titre étant à prendre à la lettre.  Après le décès accidentel de Lucia, son mari Roberto et sa fille Alejandra, 15 ans, commencent une autre vie : déménagement, nouveau travail pour l’un, nouvelle école pour l’autre. La frêle jeune fille semble s’en tirer moins mal que le massif Roberto, muré dans une douleur indicible et aveugle à ce qui l’entoure. Alors que l’on commence à comprendre la situation (le film est avare en informations), la narration dévie de cette trajectoire balisée : partie en week-end dans la luxueuse villa d’un de ses nouveaux camarades, Alejandra tombe dans les bras d’un garçon. Celui-ci aura l’indélicatesse de filmer leurs ébats, et la perversité de faire circuler les images, point de départ du drame. Le groupe-classe, qui l’avait rapidement adoptée, va se retourner contre Alejandra, et se liguer afin de lui faire payer cet « écart »  S’ensuit pour Alejandra un long calvaire alimenté à la fois par l’imagination perverse des jeunes gens, par l’aveuglement des adultes (dont celui du père, hébété de douleur), et par l'absolue passivité d'Alejandra, qui jamais n'opposera de résistance à ses bourreaux, ni ne voudra en parler à un adulte (de peur de faire de la peine à son père, comme le suggère le film).
Después de Lucia ne nous épargnera aucune étape de ce chemin de croix. Systématiquement méprisée, humiliée, violentée, Alejandra finira prostrée sous les jets d’urine de ses petits camarades mâles, après qu’ils l’auront violée à tour de rôle. La mise en scène est certes suffisamment précise et distanciée (plans-séquences fixes discrètement chorégraphiés, jeu avec le hors-champ et les ellipses) pour rendre le « spectacle » à peu près supportable (âmes sensibles s’abstenir toutefois). Mais on peut voir dans cette maîtrise une perversion supplémentaire : par son impassibilité et son naturalisme la mise en scène fait mine de nous placer devant la réalité brute, alors que le calvaire d’Alejandra est pure fiction, entièrement imaginée et minutieusement agencée par le jeune cinéaste. A cet égard on pourra interroger le glaçant plan-séquence final, qui choisit de fermer la porte à toute idée de rédemption ou de justice, en orchestrant un dernier quiproquo tragique.

Au-delà de la violence psychologique du film qui restreint son public (classes averties et très préparées), on pointera le risque d'un malentendu. A prendre Después de Lucia comme un témoignage sociologique sur les phénomènes de harcèlement, à le promouvoir comme un outil pour prévenir des comportements similaires, on tombe dans le piège même du film : prendre pour argent comptant un matériau qu’il faudrait au contraire interroger (en classe de Philosophie par exemple).