Les Quatre sœurs de Claude Lanzmann © Synedoche - Paname Distribution

Écrire l'Histoire, perpétuer la mémoire

Critique
de Claude Lanzmann
90 minutes 2018

À la faveur de son entrée au Panthéon, nombre d’articles sont revenus sur la déportation de Simone Veil. Beaucoup ont souligné l’importance de sa relation avec Marceline Loridan-Iven, rencontrée à Auschwitz-Birkenau. Simone et Marceline avaient alors 18 et 15 ans, et elles découvraient ensemble l’horreur des camps. Sœurs de déportation, elles ne sont ensuite plus jamais quittées, comme le raconte un très bel article publié sur le site de France Culture.
 
Les quatre femmes du film de Claude Lanzmann ne se sont, elles, jamais croisées. Mais comme Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens, elles sont unies à jamais par cette expérience commune de la barbarie nazie. C’est la raison pour laquelle Lanzmann a choisi de mêler leurs voix dans un documentaire au titre évocateur : Les Quatre Sœurs.
 
Ruth, Ada, Paula et Hannah
 
Construit à partir de rushs non-utilisés du film-fleuve de Lanzmann, Shoah, ces Quatre Sœurs apportent différents éclairages sur l’entreprise d’anéantissement du peuple juif par les nazis. Le film commence avec le témoignage de Ruth Elias, née en Tchécoslovaquie et déportée à Theresienstadt puis à Auschwitz alors qu’elle était enceinte. Ruth Elias échappa à toutes les sélections, mais revint des camps sans sa fille, utilisée comme cobaye humain par le sinistre docteur Mengele. Le deuxième témoignage est celui d’Ada Lichtman, originaire de Pologne, qui ne cessa de se demander, dès l’invasion de son pays par les nazis, comment elle allait mourir. Déportée à Sobibor, elle échappa aux chambres à gaz et s’enfuit du camp au moment de la révolte du 14 octobre 1943. Polonaise également, Paula Biren vécut plusieurs années dans le ghetto de Lodz, où elle fut membre de la police féminine créée par le dirigeant du ghetto, Chaim Mordechai Rumkowski. Faire déporter les autres ou être soi-même déportée, Paula Biren fut confrontée pendant de longs mois à cet impensable dilemme. Les Quatre Sœurs se conclut avec le récit de Hannah Marton, sauvée des camps de la mort par le Dr. Kastner, qui négocia avec Eichmann pour faire partir un convoi de 1684 Juifs hongrois vers la Palestine – où ils n’arrivèrent jamais.
 
Devoir de mémoire, oeuvre d'Histoire
 
La parole de ces quatre femmes, Claude Lanzmann l’a recueillie il y a plus de trente ans, à l’époque où il préparait Shoah. Mais la sortie en salles de ces témoignages n’a rien d’une entreprise datée. Car au moment où les témoins vivants de la Shoah disparaissent, la conservation et la diffusion de leurs récits est un enjeu de taille. Le cinéma prend le relais, permettant à cette parole de survivre et de s’inscrire, pour toujours, dans notre mémoire collective.
 
Œuvre de mémoire, Les Quatre Sœurs est aussi un travail d’Histoire. Les nazis ayant tenté de faire disparaître toute trace de l’extermination des Juifs d’Europe, la parole des témoins est une des rares sources d’écriture de cette Histoire. La rigueur avec laquelle Lanzmann mène ses interviews, sa façon d’aller chercher la vérité la plus crue, ainsi que la précision avec laquelle les femmes racontent leur expérience font donc de ces Quatre Sœurs un document historique précieux.