L'ordre des choses©Sophie Dulac Distribution

En Libye, les conséquences dramatiques de la politique migratoire européenne

Critique
115 minutes 2018

En novembre 2017, une vidéo tournée par la chaîne CNN montrait la vente aux enchères, en Libye, de migrants subsahariens réduits en esclavage. Face à l’émoi provoqué par ces révélations, l’Union européenne dut s’expliquer sur sa coopération avec la Libye, pays qu’elle soutient financièrement pour empêcher les migrant·e·s d’arriver jusqu’en Europe, au mépris donc des droits fondamentaux de certains de ces migrants. Cette situation a été anticipée il y a quelques années par le réalisateur italien Andrea Segre. Fin 2012, lorsqu’il commence à imaginer le film qui deviendra L’Ordre des choses, Segre rencontre des fonctionnaires européens chargés de négocier un accord avec la Libye. Ces derniers lui confirment ce qu’il pressent : l’Union européenne travaille à la mise en œuvre d’une politique de maintien des migrant·e·s sur le sol libyen, et se montre peu regardante sur le respect de leurs droits. C’est de ce travail journalistique qu’est né le héros de L’Ordre des choses, Corrado Rinaldi. Envoyé en Libye pour négocier un accord, ce policier italien y est confronté à l’enfer des centres de rétention dans lesquelles les migrant·e·s survivent. La raison d’État, à laquelle il obéissait sans se poser de questions, est alors bousculée par le réveil de sa conscience.
Le passage du documentaire (dont il est coutumier) à la fiction permet à Andrea Segre de décaler le débat sur la gestion européenne des flux migratoires, donnant à la question politique une résonnance intime. Tout l’enjeu de cet Ordre des choses est d’amener son personnage principal (et donc son spectateur) à percevoir comment l’accord scellé entre l’Europe et la Libye, au-delà d’un enjeu question de relations internationales, engage l’humanité des citoyens de l'UE. Mais si ce questionnement moral est aussi passionnant que nécessaire, L’Ordre des choses l’aborde de façon bien trop superficielle pour convaincre. Tandis que le contexte politique de la Libye est rapidement évacué, et les personnages libyens souvent caricaturés, une large part du film est consacrée à la vie privée de Rinaldi, dans des séquences dont on peine à comprendre l’intérêt. L’opposition entre cette vie familiale bien ordonnée et le chaos infernal dans lequel vivent les migrant·e·s en Libye est trop évidente pour tenir la durée. Le grand paradoxe étant que, bien que Rinaldi soit de tous les plans, il reste pour le spectateur un mystère : qui est-il vraiment ? Quel est précisément son métier ? Pourquoi a-t-il été choisi par le gouvernement italien pour négocier avec la Libye ? Ces interrogations, laissées sans réponses, n’incitent pas à l’identification avec le héros et empêchent de se projeter dans ses questionnements moraux.
On pourrait bien évidemment rattacher cet Ordre des choses à plusieurs thématiques abordées en cours de Géographie en Terminale, notamment dans la filière ESABAC. L’étude des flux migratoires et des trafics illicites tels qu’ils sont représentés dans le film pourrait par exemple illustrer une réflexion sur la mondialisation. Mais, en raison de ses faiblesses, on lui privilégiera d’autres œuvres cinématographiques, telles que Terraferma, film italien sorti en 2011 qui montrait, lui aussi – de façon beaucoup plus réussie –, l’incapacité de l’Europe à mettre en œuvre une politique migratoire respectueuse des droits humains, ou le documentaire Fuocoammare de Gianfranco Rosi.