Gemma Bovary©Gaumont Distribution

Gemma Bovery : Madame Bovary, c'est lui

Critique
de Anne Fontaine
99 minutes 2014

Après Perfect mothers en 2013, adaptation d’une nouvelle de Doris Lessing, Anne Fontaine poursuit son exploration des psychés féminine et masculine, en portant à l’écran le roman graphique de Posy Simmonds, Gemma Bovery (1999) dont l’argument repose, par effet de miroir, sur une lecture bovaryste du chef d’oeuvre de Flaubert, Madame Bovary.

Gemma Bovery, le film, propose donc une réécriture contemporaine du roman au programme de Littérature des Terminales Littéraires pour deux ans. Le roman graphique et l'adaptation — assez fidèle — d'Anne Fontaine s’inspirent d’une lecture particulièrement riche de Flaubert. Gemma apparaît comme le double anglais d’Emma : son patronyme, un mari qui se prénomme Charles, une liaison antérieure décevante évoquant Rodolphe et le vicomte dans le roman,  fonctionnent comme autant de signes dans l’esprit du boulanger Martin Joubert (Raymond dans le roman de Simmonds) interprété par Fabrice Luchini. Le couple Bovery, fuyant la monotonie londonienne s’installe en Normandie comme Charles et Emma à Yonville ; face à l’ennui qui la gagne, Gemma noue une relation avec Hervé, un avatar de Léon, fils de bonne famille qui révise ses partiels dans la demeure familiale. Toute sa vie va être disséquée, ressassée, interprétée par son voisin le boulanger (ancien libraire) au prisme du roman de Flaubert. La vie et la fiction s’entrecroisent dangereusement, réservant bien des surprises.

L’originalité de cette œuvre est de faire du personnage du narrateur-voyeur, Joubert, le bovaryste de l’histoire, tandis que Gemma, au contraire d’Emma, se montre plus lucide. On peut hasarder l'explication suivante : le roman de Flaubert montre une femme qui cherche à s’émanciper dans un monde d’hommes au XIXème siècle. Si rien n’a changé dans les mécanismes du désir, les Emma de nos jours s’approprient davantage leurs destinées sentimentales. Anne Fontaine change quelques détails par rapport à l’univers de Simmonds en le teintant de caricature : Gemma est  plus brune que blonde, sa voisine Wizzy campée par Elsa Zylberstein, plus séduisante et plus horripilante dans le rôle de la « bourgeoise émancipée », Raymond Joubert s’appelle Martin… Retrouver d’ailleurs Fabrice Luchini en voix-off et en chair et en os donne un petit côté au film un petit côté Alceste à Bicyclette, pas désagréable, mais pas très original non plus. Certes, l’ironie féroce est bel et bien présente chez Flaubert, et lui-même se désolait quelquefois que son style soit si lourd (« Je suis dévoré de comparaisons comme on l’est de poux », Lettre à Louise Colet, 1852). Mais les quatre années de labeur pour engendrer Madame Bovary lui auront permis d’atteindre l’idéal qu’il s’était fixé : « Toute la valeur de mon livre, s’il en a une, sera d’avoir su marcher droit sur un cheveu, suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire » (Lettre à Louise Colet, 1852). Posy Simmonds avait su conserver par son trait neutre l’esprit critique de Flaubert sans parvenir à en creuser la profondeur (Flaubert s’attaquait à toute la société dans son œuvre). Anne Fontaine, elle, force le trait mais reste tout autant à la surface.

Si le film comme le roman graphique offrent un plaisir de la référence à ne pas mésestimer, il faut aussi les voir comme des outils pédagogiques non négligeables pour des élèves que la lecture de Flaubert rebutera peut-être au départ. La lecture du roman est primordiale, mais elle gagnerait à s’enrichir du visionnage du film de Chabrol, puis de celui d’Anne Fontaine, afin que les élèves non seulement s’imprègnent de l’intrigue mais aussi puissent percevoir les résonances entre les différentes versions.