It's a free world © Diaphana Distribution

It's a free world : chronique du libéralisme

Critique
de Ken Loach
93 minutes 2008

C’est un vieux ressort de scénariste pour faire ressortir l’horreur du libéralisme : montrer comment celui-ci transforme certaines de ses victimes en bourreaux, comment il instille le poison de l’individualisme dans les relations amicales, familiales, ou amoureuses… Que l'on pense au héros de Ressources humaines de Laurent Cantet, fils d’ouvrier passant "de l’autre côté", ou à la Rosetta des Dardenne, qui, pour lui voler son job, trahissait le seul être qui l’ait jamais aidé, et aimé.
It's a free world de Ken Loach propose une nouvelle variation sur ce schéma : en nous montrant comment Angie, victime du système, va en devenir une complice active, il s'agit pour Loach et son scénariste Paul Laverty, de nous montrer que "chacun a ses raisons", et de nous pousser à nous interroger sur nos propres limites morales.
On sent bien ainsi que les premières scènes ont pour but de nous rendre Angie sympathique, en nous décrivant ses "galères" personnelles (mère célibataire, on lui a retiré la garde de son enfant) et professionnelles (elle est licenciée après avoir envoyé sur les roses un patron trop pressant). Mais on sent aussi que derrière cette volonté d'identification est un peu forcée, le film a déjà jugé son personnage. Angie apparaît très vite comme une digne enfant du "miracle anglo-saxon", un parfait petit soldat du néo-libéralisme. Elle incarne une génération qui a intégré les discours sur la libre entreprise, la guerre économique de tous (sociétés, pays, individus) contre tous ; une génération à laquelle la "valeur travail" tient lieu de viatique, à l’exclusion de toutes les autres (Angie travaille si dur qu’elle s’offusque qu’on puisse encore lui demander quelque chose).
It’s a free world aurait pu être un film formidablement efficace, à l’image de sa première scène : un entretien d’embauche tout ce qu’il y a de plus classique (à ceci près que le recruteur est anglais et les candidats polonais) prend tout d’un coup une autre couleur, quand s’échange au dessus de la table une liasse de billets. Le scandale crève l’écran, de cet argent qui circule dans le mauvais sens, du futur employé —du moins l’espère-t-il— à l’employeur, du pauvre au riche…
Hélas la suite du film n'a pas la précision et la concision qui font toute la puissance de cette scène. À travers le personnage d’Angie, on aurait ainsi aimé en savoir un peu plus sur la dérégulation du monde du travail au cœur du dynamisme de l’économie anglo-saxonne, comprendre les ressorts et les recettes de ce marché de la main d’œuvre clandestine, percer le scandale de l’incroyable mansuétude dont semblent faire preuve les autorités à l’égard des employeurs malhonnêtes.
Au lieu de cela, le scénario préfère nous faire la morale, alourdissant inlassablement les charges qui pèsent sur Angie (marchande de sommeil, mère maquerelle, délatrice anonyme), la confrontant à des personnages-consciences morales (son associée, et surtout son père, ouvrier à la retraite, vivante incarnation du point de vue de Loach) et à des dilemmes assez mécaniques : était-il ainsi nécessaire (pour souligner ses contradictions ?) de nous montrer Angie hébergeant une famille de clandestins iraniens ? Dans sa dernière partie, le film virera ainsi au mauvais remake de Mère Courage et ses enfants, quand l’aveuglement de la mère retombe sur son propre fils.
Le film reste bien évidemment très intéressant pour une exploitation en classe, en Anglais, en Géographie (notamment en Première, pour l'étude des migrations économiques intra-européennes) et en SES, pour aborder la notion de droit du travail en Seconde, mais aussi les bouleversements sociaux et économiques induits par l'intégration européenne.

Voir également :
> [MAJ du 27/01/08] cet article de Liens socio, le portail francophone des sciences sociales