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La Belle et la bête : rien que pour vos yeux

Critique
de Christophe Gans et Christophe Gans
114 minutes 2014

Dernière superproduction française dans la catégorie "nous aussi on peut faire des films américains", avec en tête de gondole les "stars" Vincent Cassel et Léa Seydoux, La Belle et la bête de Christophe Gans sort quelques mois après la réédition, en version restaurée, du chef d'œuvre de Jean Cocteau, et souffre cruellement de la comparaison.

Si d'un point de vue plastique, le film promet quelques belles images, propres à nous plonger dans l’espace onirique des contes, celles-ci déçoivent à peine entrevues. On pense ici au naufrage des navires qui rappelle Dracula, au "gothique" château de la Bête façon Tour Saint-Jacques, à ses collines de géants échappées d'un album de Claude Ponti… Une image demeure, celle de Belle dans sa robe rouge, à genoux dans la neige : peut-être nous a-t-elle évoqué un petit chaperon rouge croisé dans le fabuleux La Compagnie des loups de Neil Jordan (1984), ou la fascination de Perceval pour les gouttes de sang aperçues dans la neige ? Si le film convoque ces réminescences chez le spectateur c'est plutôt comme un regret, tant il fait pâle figure à côté d'elles. On mesurera ainsi la distance qui sépare un réalisateur qui a les moyens de tout montrer (Gans) mais ne parvient jamais à nous faire rêver, d’un cinéaste (Cocteau) qui sut transfigurer le dénuement du tournage par la poésie de ses trouvailles. Comment, face à la surenchère lassante de la version de Gans, ne pas être nostalgique des appliques à bras et des statues aux yeux mouvants ?

De fait, rien d’inquiétant, ni d’angoissant chez cette Bête à la figure léonine (dans le droit fil de Cocteau, car l'iconographie montre la Bête tantôt en rapace, en sanglier ou en chimère). Alors que Cocteau la mettait en scène accroupie, lapant l’eau d'une mare, Gans la montre dévorant un sanglier à travers un jeu d’ombres… Là où le premier suggérait l’humiliation due à la métamorphose en bête (et suscitait, par là-même, la pitié), le second réduit la Bête à sa… bestialité, une bestialité qui n’arrive même pas à nous effrayer… Le scénario essaie de donner un passé de la Bête, au fil de flash-backs oniriques qui nous ont parfois fait penser à La Légende de Saint Julien l’Hospitalier, narrée par Flaubert… Mais l’indigence du scénario et des dialogues plombe tout enchantement. Belle tombe amoureuse en trois scènes (et autant de répliques), suggérant, malheureux contre-sens, qu’elle est séduite par le confort matériel qui lui est offert, plutôt que par l'humanité de la Bête… L’effort d’adaptation passe également par un clin d’œil bien dans l'air du temps à l’écologie, via un personnage de nymphe et les allusions aux divinités de la Nature. Le film tente également de moderniser le personnage de Belle, qui ne saurait être une petite Cendrillon fragile. Gans rêve Belle en jeune fille rebelle mais elle passe plutôt pour une "petite tête de mule", bref… une bête. C’est qu’il n’est pas évident d’adapter aujourd’hui un conte qui dit aux petites filles que c’est la beauté du cœur qui compte, qu’on est récompensée quand on est simple et pas coquette, qu’on peut transformer une brute en homme docile, un "chasseur" en "jardinier", et lui faire de beaux enfants… A ce titre, la dimension érotique (le poil de la bête contre la peau douce de Belle) est singulièrement absente (la scène de bal est à ce titre ridicule) alors qu'elle donnait toute sa tension à l'œuvre de Mme Leprince de Beaumont. Le film sort juste avant les vacances scolaires et vise un très large public familial, ceci expliquant sans doute cela…

La question reste donc entière : quel besoin de proposer aujourd'hui cette nouvelle version du célèbre conte ? Qu’il nous soit permis de préférer, à la débauche lassante de spectaculaire, la suggestion qui excite l’imaginaire. N’est-ce pas elle qui fait le sel de tous les contes ?