La ligne de partage des eaux©Films du Losange

La Ligne de partage des eaux : la carte et le territoire

Critique
de Dominique Marchais
108 minutes 2014

La Ligne de Partage des eaux s'ouvre par une très jolie séquence métaphorique : une petite fille reconstitue consciencieusement un puzzle naïf représentant un paysage de campagne au milieu duquel coule une rivière.  Cette image du puzzle, d'ailleurs reprise sur l'affiche du film, est une bonne entrée dans le propos de Dominique Marchais : la différence entre le tableau et les pièces, c'est celle qui sépare l'unité organique d'un pays et le découpage parfois arbitraire de ses subdivisions administratives, la géographie humaine et la géographie "physique" (au sens très large), ou bien, pour reprendre le titre d'un récent prix Goncourt, la "carte" et le "territoire". La Ligne de partage des eaux propose donc l'exploration d'un territoire géographique (circonscrit par le bassin versant de la Loire) et en même temps celle du fameux "mille feuilles administratif" qui s'y superpose et le modèle… Comment se transforme la France d'aujourd'hui, comment se modèle celle de demain ? Quels logiques, quels intérêts antagonistes s'affrontent, et comment (par qui, dans quelles instances) ces conflits d'usage sont-ils arbitrés ? Quelles sont les conséquences concrètes de ces arbitrages sur les paysages ?  Prenant l'eau pour fil conducteur, le film navigue avec fluidité entre les acteurs (agriculteurs, élus locaux, néo-ruraux, fonctionnaires), les paysages (ruraux et périurbains) et les espaces, construisant petit à petit, pièce (de puzzle) par pièce un tableau de la France d'aujourd'hui.

Celui-ci, on s'y attendait, n'est pas des plus réjouissants. Même s'il filme également quelques zones de résistance ou de résilience, Dominique Marchais met surtout en évidence le rouleau-compresseur inexorable de l'étalement de l'urbain (et de ses dépendances) sur les espaces ruraux, au nom de dogmes intitulés "croissance" et "mondialisation" ; mouvement qui est celui de la normalisation et de l'uniformisation, mais aussi d'une destruction irréversible des espaces naturels et d'un enlaidissement irrémédiable (cf cette enquête consacrée par Télérama.fr à "La France moche").  Le film se présente à la fois comme la suite et le pendant du premier long-métrage documentaire de Dominique Marchais, le passionnant Temps des grâces (2008) qui évoquait le bouleversement de l'agriculture au XXème siècle et ses conséquences sociales, sanitaires et environnementales… Après avoir soldé le passé, n'est-on pas en train de faire "table rase du futur", nous demande le cinéaste dans ce nouvel opus ?

La réflexion qui a précédé, nourri et accompagné Dominique Marchais dans la réalisation du film est particulièrement stimulante, et on renverra à ce propos au long entretien avec le réalisateur proposé dans le dossier de presse. Mais son expression cinématographique s'avère hélas parfois particulièrement aride, à l'image de cette interminable séquence de réunion publique à Châteauroux qui voit chacun des participants, stagiaires compris, décliner son identité et sa fonction. Le film embrasse tellement large que le fil du propos est parfois difficile à suivre, la cohérence "géographique" revendiquée (un "film bassin versant") s'avérant moins évidente que celle, historique, qui présidait au Temps des grâces. La Ligne de partage des eaux est donc un film qui risque de passionner les géographes et tous ceux qui s'intéressent à la discipline, mais de laisser sur le bord les autres, élèves de lycée compris.