Parvana©Le Pacte

La vie sous les Talibans racontée aux enfants

Critique
de Nora Twomey
94 minutes 2018

Les histoires, gardiennes de la mémoire
« Tout change toujours, Parvana. Les histoires sont là pour nous le rappeler. » Pour le père de Parvana, héroïne éponyme du film de Nora Twomey, les histoires sont un acte de résistance. Dans un Kaboul régi par les Talibans, il raconte à sa fille, interdite d’école, l’histoire – riche et tragique – de leur pays. Il éduque ainsi la petite fille, lui transmettant, de manière souterraine, la mémoire afghane. Conscient de cette importance des histoires dans la vie de tous les enfants, Parvana choisit d’en raconter deux en même temps. D’un côté la vie quotidienne de Parvana, petite fille obligée de se déguiser en garçon pour nourrir sa famille après l’arrestation de son père ; de l’autre le conte, que l'héroïne elle-même raconte, histoire merveilleuse et terrifiante du jeune Soliman, parti combattre un terrible roi-éléphant pour assurer la survie de son village.

Être une fille sous le régime taliban
Adapté d’un roman jeunesse, Parvana fait ainsi revivre le Kaboul de la fin des années 1990, avant l’invasion américaine. La ville est alors soumise à la loi des talibans, qui interdisent aux femmes – même pré-pubères – de se montrer seules dans l’espace public, et s’attachent à détruire toute trace de la culture et de l’histoire préislamiques du pays. Brimades, emprisonnement et passages à tabac… le scénario retranscrit avec précision les violences infligées aux femmes et aux opposants du régime. Une atmosphère lourde qui contraste avec la beauté du graphisme : la couleur explose dès qu’une brèche se dessine entre le gris des murs et le jaune de la poussière – les grands yeux verts de Parvana, le rouge vif de son voile, les teintes bariolées des étals du marché.
Il est dommage que ce graphisme, si précis quand il s’agit de retranscrire l’époque, soit plus grossier pour les personnages. Dotés d’une palette d’émotion trop limitée, ils présentent souvent au spectateur un visage un peu lisse. Leur profondeur psychologique s’en trouve à ce point restreinte que chaque personnage peut être réduit à un seul trait de caractère : la petite fille courageuse, la mère résignée, le méchant taliban, le gentil taliban… Ce recours à des archétypes, s’il ne dérangera probablement pas les enfants, frustrera les adultes.

Le courage des enfants
Il est dommage aussi que l’enchâssement des deux récits se fasse de manière trop mécanique. La réalisatrice et sa scénariste introduisent chaque fois l’irruption du conte par un prétexte narratif : systématiquement, lorsque Parvana rentre chez elle après avoir écumé les rues de Kaboul à la recherche de son père, sa mère ou sa sœur lui demandent de raconter l’histoire de Soliman pour calmer le dernier-né de la famille. Cette manière très didactique d’amener le conte rend les parallèles entre la vie de Parvana et les aventures de Soliman un peu grossiers.Ce didactisme se résorbe heureusement dans la dernière partie du film, alors que les dangers auxquels sont confrontés Parvana et Soliman se font de plus en plus pressants (pour elle l’approche de la guerre, la découverte de son travestissement par un taliban, les menaces sur son père ; pour lui, la confrontation avec le terrible roi-éléphant). À la faveur de l’accélération du récit, les deux histoires se croisent de manière plus fluide, et se font écho de façon plus subtile. Le conte devient alors le support du récit réaliste, au lieu d’en être une respiration accessoire. Naît ainsi l’idée que ces histoires que l’on se raconte (ou qu’on nous raconte) sont un puits auquel on peut s’abreuver de courage et de connaissances, pour affronter ensuite ses démons de la vie réelle. Une morale à laquelle les (grands) enfants seront sans nul doute sensibles.
D'un point de vue pédagogique, le film est accessible au Cycle 3. Au collège, il pourra nourrir le programme de Sixième en EMC ("Les inégalités face à l'éducation") et Français ("Contes et récits merveilleux"), ou de manière plus périphérique le programme de Géographie de 5ème ("Les inégalités devant l'alphabétisation", "La question de l'accès l'eau").