Sicko de Michael Moore © TFM

L'Amérique, grand corps malade

Critique
de Michael Moore
120 minutes 2007

Les Etats-Unis d’Amérique, un grand pays… malade : c’est le sujet du nouveau documentaire de Michael Moore, qui après la politique économique (Roger et moi), la culture de la violence (Bowling for Columbine) et la politique étrangère (Farenheit 9/11, Palme d'or en 2004), s’attaque cette fois aux travers du système de santé de son pays.
Sicko dénonce avant tout la libéralisation du secteur de l’assurance maladie, devenue la chasse gardée d’entreprises capitalistiques, qui y appliquent la même philosophie et les mêmes principes de gestion que leurs consœures de l’industrie, des services ou de l’agroalimentaire. Du standardiste au médecin-conseil, c’est sur leur capacité à minimiser les coûts (en décourageant d’emblée les clients les plus fragiles, en refusant à leurs assurés des soins pourtant vitaux, en cassant des contrats au moindre prétexte) qu’elles jugent et récompensent leurs employés. Michael Moore dénonce également l'hypocrisie des politiciens, conservateurs (réjouissante tartufferie du "conservatisme compassionnel") ou démocrates (Hillary Clinton n’est pas épargnée), qui ont toujours cédé aux arguments sonnants et trébuchants des lobbyistes.
La méthode du documentariste, elle, n’a pas changé d’un iota, et Sicko risque de s’attirer les mêmes louanges et les mêmes critiques que ses œuvres précédentes : à l’actif, un courage certain (l'escapade à Cuba lui vaut des poursuites de l'Etat américain), une verve satirique dévastatrice, une invention constante dans les procédés (musique, extraits d’archive, incrustations, le film fait flèche de tout bois) ; au passif, le chantage permanent à l’émotion, le côté "qui trop embrasse mal étreint", et surtout les flagrantes simplifications que le film fait subir à la réalité.
Ainsi, aux deux tiers du film, la présentation idyllique du système français de sécurité sociale laissera le spectateur plutôt rêveur : nous y apprenons ainsi qu’aux urgences on n’attend jamais plus d’un quart d’heure, que les soins de santé sont intégralement remboursés par l’Etat, et que les crèches couvrent tout le territoire. Mais le pire est atteint dans l’épisode cubain, qui épouse avec un certain cynisme la propagande castriste.
De film en film, la question-Moore reste donc posée : la fin justifie-t-elle les moyens ? Peut-on redresser d'énormes mensonges à coup de demi-vérités ? Pour y répondre, il ne faut pas oublier que c’est encore et toujours au public américain que Michael Moore s’adresse : en multipliant les exemples étrangers, chez les vassaux méprisés (Canada, Grande-Bretagne), ou les prétendus "ennemis" (Cuba et dans une moindre mesure la France), c’est la fierté américaine qu’il veut ravaler, c’est une violente prise de conscience qu’il cherche à provoquer. Il s'en expliquait d'ailleurs lors de la conférence de presse : "Je sais qu’il est difficile de m’entendre dire des choses aussi roses et agréables sur le Canada, mais quoi qu’il en soit, je pense que si nous avions un système comme le vôtre aux Etats-Unis, nous nous en sortirions mieux. S’il y a des défauts à corriger dans le système canadien, ce n’est pas à moi de le faire, c’est à vous de le faire. En voyageant à travers le monde et en observant les systèmes en France, au Royaume-Uni, à Cuba, mon idée était d’aller voir ailleurs ce qui fonctionne bien, de rassembler toutes ces données pour aboutir à un système cohérent applicable aux Etats-Unis."
Du point de vue de l’enseignant, le film est donc encore une fois à prendre avec des pincettes, même s’il permettrait d’approcher en classe de Géographie les faiblesses du géant américain, et peut être étudié avec profit en classe de SES et de Sciences Médicales et Sociales. Il a en tout cas le mérite d’exposer très pédagogiquement les principes fondateurs des systèmes de santé anglais et français, tous deux hérités de la Seconde Guerre Mondiale (en France ces principes sont exposés en mars 1944 dans la charte du Conseil National de la Résistance) : chacun paie selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Le rappel peut s’avérer utile, notamment en classe d’ECJS, pour des élèves qui n’ont jamais entendu parler que du "troudelasécu".