Michel Pastoureau : "Le loup, l’ours et le corbeau sont les trois vedettes principales des contes et légendes et des traditions orales"

Entretien
de Tomm Moore
103 minutes 2021

Pourquoi le loup a-t-il une place si importante dans les contes et légendes, et notamment dans l’imaginaire enfantin ?

Cela vient de très très loin ! Cette omniprésence du loup est un héritage qui remonte probablement à l’époque où les populations nomades sont devenues sédentaires. Elles ont alors été obligées d’affronter des bêtes sauvages comme des ours ou des loups. L’ours n’attaque pas souvent si on ne l’embête pas mais le loup, quand il a faim, s’approche des villages, s’empare de la volaille, du bétail, fait peur aux populations et s’en prend parfois aux petits enfants. Le loup a fait peur dans les campagnes jusqu’au XIXe siècle. Cette peur s’est amplifiée et a donné lieu à des textes, des images, des traditions orales puis à des contes, des légendes, des fables, des superstitions, des surnoms, des proverbes… Le loup, l’ours et le corbeau sont les trois vedettes principales des contes et légendes, des traditions orales et de la vie des campagnes. Ces trois animaux ont longtemps été rejetés par la tradition commune et par l’Église parce qu’ils étaient jugés diaboliques. Ils étaient vénérés par des cultes païens que le christianisme a voulu éradiquer. Pour lutter contre le paganisme, le christianisme a fait la guerre à ces bêtes qui étaient trop admirées et vénérées. En Europe du Nord, nous retrouvons des cultes du loup jusqu’autour de l’an 1000.

Le Peuple loup se situe en 1650. La "peur du loup" a-t-elle varié selon les époques, les lieux, les conditions de vie ?

Cette peur varie en effet en fonction des conditions de vie plus ou moins difficiles. Je trouve cela intéressant que Le Peuple loup se passe en 1650 parce qu’il s’agit vraiment de l’époque où les populations sont les plus malheureuses en Europe. Le Moyen-Âge n’est pas la pire période de l’histoire, contrairement à ce que l’on peut penser ! Le XVIIe siècle est un siècle épouvantable à cause du climat défavorable, des guerres, de la crise économique et religieuse. En Europe, l’espérance de vie tombe au plus bas. Quand le climat est mauvais, alors les récoltes sont mauvaises, les populations ont faim et les animaux sauvages aussi. Les loups s’approchent plus facilement des villages et des maisons. De fait, la peur de l’animal prolifère, tout comme les histoires de sorcellerie. En 1650 nous sommes donc au sommet de cette crainte du loup.

Le film s’inspire d’une légende irlandaise, celle des "wolfwalkers" ou "loups d’Ossory", qui sont une sorte de loups-garous positifs. Les hommes et les loups sont-ils souvent liés dans l'histoire ?

Nous retrouvons quelques histoires de loups-garous pendant l’Antiquité mais il faut attendre le Moyen-Âge pour qu’elles prennent vraiment de l’ampleur. Il existe deux sortes de loups-garous. D’un côté, nous avons ceux qui deviennent loups la nuit parce qu’ils ont conclu un pacte avec le diable, et qui sont donc les mauvais loups-garous. Et de l’autre, nous avons ceux qui ont été victimes d’un mauvais sort jeté par un parent, un ami, un voisin ou une sorcière. Ceux-là sont loups-garous malgré eux et ils peuvent donc être de bons loups-garous. Les deux coexistent dans l’histoire.

Plutôt que de parler de lien entre l’homme et le loup nous pourrions parler de voisinage lié à leurs circonstances de vie. L’homme connaît bien le loup, il s’agit d’un animal qu’il redoute mais pas autant que les animaux sauvages vivant sur d’autres continents comme les lions, les serpents…

Dans l’imaginaire contemporain, la figure du loup semble beaucoup plus positive et valorisée… Que représente le loup aujourd’hui ?

L’image du loup est en effet plus positive depuis environ un siècle. Quand j’ai écrit mon livre Le loup : une histoire culturelle j’ai enquêté sur les livres pour enfants et j’ai constaté qu’il en était désormais la vedette. Quand j’étais enfant, les héros étaient plutôt l’ours ou le cochon. Ce changement date de la fin du XIXe siècle et il est lié à deux facteurs. D’une part, les loups sont devenus plus rares dans les campagnes d’Europe, notamment parce qu’un certain nombre d’entre eux ont été éliminés. D’autre part, en 1885, Pasteur a mis au point le vaccin contre la rage qui a changé la relation entre les hommes et les loups qui transmettaient cette maladie. De fait, les populations ont eu moins peur de l’animal et les histoires de loups sympathiques ont fait leur apparition. En 1894, Rudyard Kipling publie par exemple Le Livre de la jungle qui raconte l’histoire d’un enfant élevé par les loups.

Les valeurs désormais associées à cet animal sont souvent liées à l’entraide. Avant, il était vu comme lâche parce qu’il attaquait toujours en bande contrairement à l’ours qui agissait seul. Aujourd’hui, cet esprit de meute est vu comme une forme de solidarité. Les livres pour enfants mettent beaucoup en avant le fait que la société des loups ressemble à celle des hommes. Le bon loup est intelligent et plein de malice même s’il a toujours les mêmes défauts : il est toujours gourmand et vorace !

Michel Pastoureau est professeur à la Sorbonne et à l’École Pratique des Hautes Études où il est titulaire de la chaire d’Histoire de la symbolique occidentale. Il a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire des couleurs et des animaux. Son ouvrage le plus récent, Le Taureau, une histoire culturelle, est paru aux éditions du Seuil.