Adolescences © Ad Vitam

Le portrait aux long cours de deux adolescentes, entre liberté individuelle et fatalité sociale

Critique
de Sébastien Lifshitz
135 minutes 2020

Elles s’appellent Anaïs et Emma, elles sont des collégiennes "lambda" d’une petite ville sans histoire, et elles sont "meilleures amies" quand le film commence. Le cinéaste Sébastien Lifshitz, délicat documentariste (Les Invisibles, Vies de Thérèse) les a suivis dans leur intimité (familiale, amicale) et leurs interactions sociales sur plusieurs années, ménageant entre d’autres projets le temps d’allers et retours réguliers à Brive la Gaillarde. Le film livre ainsi une belle chronique de l’adolescence, rythmée par les rentrées scolaires : de la fin du collège et de ses émois jusqu’aux prémisses de l’âge adulte, avec le début des études et/ou l’entrée dans la vie active. On suit l’évolution des corps et l’affermissement de deux personnalités, on perçoit l’écho assourdi des événements collectifs (attentats terroristes, élections nationales) qui ont rythmé la France ces dernières années.
Mais on voit également à l’œuvre l’inexorable emprise de la détermination sociale, car si elles sont réunies par une amitié aux ressorts toujours mystérieux (le "parce que c’est moi, parce que c’est toi"), Anaïs et Emma sont séparées par leur milieu d’origine : l’une (Emma) vient d’une famille de la classe moyenne supérieure ; elle passera brillamment dans la filière générale et finira par partir à Paris pour y suivre des études de cinéma. L’autre (Anaïs) vient d’un milieu beaucoup plus populaire, et ne sera pas épargnée par les difficultés et les drames (perte de sa grand-mère, longue maladie de sa mère, incendie de la maison familiale). Elle s’orientera dans la voie professionnelle, et se confrontera très tôt au monde du travail. À ce stade, le fil de leur amitié devient de plus en plus ténu, et ne tient peut-être plus qu’au projet de documentaire qui les réunit de loin en loin, malgré tout.
Véritable étude de cas sociologique, le film de Sébastien Lifshitz permettra ainsi d’illustrer différents chapitres du programme de spécialité de SES : comment la socialisation contribue-t-elle à expliquer les différences de comportement des individus ? Comment se construisent et évoluent les liens sociaux ? Voter : une affaire individuelle ou collective ? Le portrait attachant de ces deux jeunes filles et la lueur d'espoir que la fin du film distille permettront d'atténuer la violence du constat de la reproduction sociale.