Le voyage extraordinaire©Lobster Films

Le Voyage extraordinaire et Le Voyage dans la Lune

Critique
de Serge Bromberg
80 minutes 2011

En 2011, Georges Méliès aurait eu cent-cinquante ans. L’anniversaire peut sembler farfelu. Il nous aura permis de découvrir trois superbes films.
Le premier : Hugo Cabret, le somptueux hommage de Martin Scorsese d’après le roman graphique de Brian Selznick. Les deux autres sortent de conserve en salle, sur une combinaison plus réduite : Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès, précédé du Voyage extraordinaire de Serge Bromberg ; soit un court-métrage et un long, un "muet en noir et blanc" et un "parlant en couleur", une fiction et un documentaire, un film de 1902 et un film de 2011.
Le film de Georges Méliès avait été dévoilé en ouverture du dernier Festival de Cannes. On avait pu alors admirer la splendeur de cette copie restaurée (grâce au soutien des Fondations Groupama-Gan et Technicolor), s'étonner de ses superbes couleurs d’origine, et apprécier (ou pas, pour certains) la musique du groupe Air, destinée à donner une touche de modernité au premier film de science-fiction de l’histoire du cinéma.
On découvre aujourd’hui le documentaire de Serge Bromberg, cinquante-deux minutes trépidantes pour expliquer la genèse du Voyage dans la Lune et retracer la carrière du grand Méliès. Le touche-à-tout Serge Bromberg (spécialiste avec sa société Lobster films de la restauration, de la conservation et de l'exploitation des films du patrimoine, et notamment du muet) avait frappé un coup de maître avec son premier long-métrage, L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot, couronné par un César en 2009. Il livre ici une nouvelle merveille de documentaire cinéphile, qui constitue le plus bel écrin possible au chef d’œuvre de Méliès. Sur un sujet qui pourrait paraître lointain et austère (les premiers pas du "cinématographe"), Serge Bromberg livre un film aussi drôle et palpitant que pédagogique : tournant le dos à toute forme d'académisme, il livre un feu d'artifice d'images, tirées pour la plupart du fonds Lobster, qui permettent de parcourir à toute allure les vingt premières années du cinéma, les plus méconnues.
Il montre dans quel contexte socio-économique, intellectuel, culturel, scientifique est apparue l'invention des frères Lumière ; il montre comment Méliès a su allier son talent d'inventeur avec une maîtrise très sûre des codes théâtraux de son époque ; il nous fait comprendre comment, après avoir été au faîte de la gloire (notamment grâce au succès mondial du Voyage dans la Lune), Méliès passe de mode.
La grande force du documentaire est de nous montrer tout ça en images, selon le principe qu'une petite séquence vaut mieux qu'un grand discours. En télescopant les "tableaux" encore très théâtraux de Méliès (qui n'a pas l'idée de changer sa caméra de place, ou de sortir de son studio) avec les premiers essais de montage alterné ou de split-screen, en confrontant ses fééries du magicien de Montreuil avec les actualités cinématographiques naissantes, Le Voyage extraordinaire nous fait toucher du doigt le changement d'époque dont il est la victime : tout simplement la naissance du cinéma moderne. Il rend également hommage à Méliès, véritable inventeur du cinéma de fiction, à son inventivité et à sa poésie, en convoquant ses successeurs comme Jean-Pierre Jeunet ou Michel Gondry.
Ce superbe hommage s'achève par le film de Méliès, que l'on prend d'autant plus de plaisir à (re)découvrir, que l'on vient de nous dévoiler tous ses secrets.