blackkklansman© Universal Pictures International France

L’incroyable histoire vraie d’un policier noir infiltré dans le Ku Klux Klan

Critique
de Spike Lee
128 minutes 2018

Spike Lee en grande forme
 
Taillée pour le cinéma survitaminé et politique de Spike Lee, l’histoire de Ron Stallworth lui a permis de remporter le Grand Prix au dernier Festival de Cannes. Un prix mérité tant BlacKkKlansman est une synthèse quasi parfaite du divertissement grand public et du film engagé.
Les thématiques abordées dans le film (à commencer par la suprématie blanche) ne sont pourtant pas très drôles. Mais Spike Lee parvient à créer un décalage comique en insistant sans cesse sur la bêtise des membres du Ku Klux Klan. La vision de ces hommes blancs persuadés d’être l’élite de l’humanité mais dupés comme des bleus par un policier débutant est jouissive – à l’image de cet « Heureux de parler à un vrai Américain blanc ! » lancé par le chef du KKK à Ron Stallworth au cours d’une conversation téléphonique. Le rythme effréné de l’enquête policière ne gâche rien non plus à notre plaisir, Spike Lee ne cessant d’accélérer le mouvement à grand renfort de cuts abrupts et de course-poursuites motorisées.
 
Un film politique pour notre temps
 
Mais l’humour n’a pas seule fonction de divertissement. Il permet aussi à Spike Lee de lancer une charge virulente contre le discours raciste, passé et présent. Et si tout le film insiste sur ce propos politique – un « America First ! » lancé à la cantonade par David Duke lors d’une réunion du Klan fait écho au slogan de campagne choisi par Donald Trump – la dernière demi-heure du film lui donne une ampleur inattendue. BlacKkKlansman bascule à ce moment des années 70 à l’année 2017, de la fiction à l’archive, et de la comédie au drame. Spike Lee réutilise en effet des images des événements d’août 2017 à Charlottesville. Alors que des néo-nazis et des membres du KKK défilaient pour empêcher la destruction d’une statue de Robert Lee, général sudiste et héros esclavagistes, un jeune militant d’extrême-droite avait foncé en voiture dans la foule des contre-manifestants (issus notamment du mouvement Black Lives Matter), provoquant la mort d’une femme de 32 ans, Heather Heyer. En concluant son film sur ces événements de Charlottesville (et sur le discours ambigu de Donald Trump à la suite de cette tragédie), Spike Lee prouve avec force que les idées du Klan sont encore bien vivantes et capables de semer la mort.
 
On pourra, malgré ce message puissant, regretter le caractère un peu trop consensuel du film. En montrant le racisme contre le seul fait de « grands méchants » (le Klan, les néo-nazis, Donald Trump), Spike Lee passe sous silence ses manifestations souterraines, quotidiennes, systémiques, celles que dénoncent depuis quelques années une nouvelle génération d’activistes noirs – aux États-Unis comme en France.
Reste que Spike Lee n’a pas son pareil pour réussir des films grand public sur des sujets politiques brûlants. On prédit à ce Blackkklansman un succès tonitruant – et peut-être même l’honneur de quelques tweets rageurs de l’actuel président des États-Unis.
 
Le suspens ménagé par BlacKkKlansman, son esthétique rétro et son humour ne manqueront pas de faire mouche auprès des jeunes. Quant au propos politique du film, il s’inscrira parfaitement dans les programmes d’Anglais du lycée : « Mythes et héros » pour s’interroger sur l’héroïsme de Stallworth ; « Lieux et formes du pouvoir » pour réfléchir sur les discriminations – passées et présentes – envers la communauté noire aux États-Unis.