Même la pluie©Haut et Court

Même la pluie : de l'eau, de l'or, de la brioche

Critique
de Iciar Bollain
103 minutes 2011

Dans une scène de Même la pluie, une équipe de tournage occidentale, invitée à une mondanité par le gouverneur local d’un pays pauvre (la Bolivie), assiste à la répression d’une manifestation populaire sous les fenêtres mêmes du palais. Une coupe de champagne à la main, un des acteurs cite alors de manière provocatrice la reine Marie-AntoinetteIls n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche. »). Difficile pour le spectateur de ne pas penser à cet instant à l’autre film « sur le cinéma » sorti la même semaine, Somewhere, dans lequel Sofia Coppola dépeint le spleen doré d’une vedette hollywoodienne recluse au Château Marmont, comme elle racontait les affres de la reine à Versailles. D’un côté (Somewhere) un cinéma de l’intime et de la mélancolie, ignorant superbement la rumeur du monde, au risque d’une certaine vacuité ; de l’autre (Même la pluie, réalisé par Icíar Bollain mais scénarisé par Paul Laverty, le scénariste de Ken Loach) un cinéma politiquement engagé, essayant de retranscrire les processus historiques passés et présents (le film est dédié à l’historien Howard Zinn), au risque d’un certain académisme. On se souvient des débats qui avaient agité le Festival de Cannes en 2006 quand Le Vent se lève (de Ken Loach, scénario de Paul Laverty) avait raflé la Palme d’Or au nez et à la barbe de Marie Antoinette de Sofia Coppola.

On ne saurait toutefois réduire le film d’Iciar Bollain à du simili-Loach, et Même la pluie à un film « de » Paul Laverty. Même s’il a les qualités (efficacité narrative, rythme, sens du lyrisme) et les défauts habituels (personnages convenus, morale édifiante…) des films du scénariste (on pense notamment à Bread and roses), il renouvelle son approche en entremêlant au récit très loachien de révolte sociale (le scénario s’inspire d’un des nombreux conflits liés à la privatisation de la distribution de l’eau en Amérique du Sud) l’histoire plus élaborée d’un « film dans le film ». Même la pluie raconte d’abord le tournage d’une coproduction internationale dans un coin perdu du tiers-monde (« Ici on trouve des figurants à 2 dollars par jour. » jubile le cynique producteur), entrecoupé par les images du film en train de se tourner, une fiction historique à grand spectacle. Toute l’ironie est que la fiction en question dénonce, à travers les personnages de Christophe Colomb, Antonio de Montesinos ou Bartolomé de Las Casas (celui de La Controverse de Valladolid), les prémisses de la colonisation de l’Amérique du Sud, et sa contestation ; et que pour tenir le rôle de l’Indien révolté contre les conquistadores, le réalisateur fictionnel (joué par Gael Garcia Bernal) engage à son corps défendant l’indigène qui se révélera être le leader de la lutte populaire en train de couver.

On voit ce qui transparaît à travers l’entremêlement de ces deux époques et de ces trois récits : la rapacité des premiers conquistadores exigeant leur tribut de métal jaune trouve un écho dans celle des multinationales s’appropriant un bien aussi vital que l’eau ; mais le film pointe aussi, plus ironiquement, les contradictions d’une industrie (et de ses acteurs) aussi prompte à dénoncer les oppressions d’hier qu’à s’accommoder de celles d’aujourd’hui (et n’échappant aux logiques de mondialisation : c'est une main d'œuvre bon marché que le producteur recherche en Bolivie). Quand la révolte éclate enfin, le film pose alors clairement la question de l’engagement de l’artiste (opposant les réactions respectives du producteur — Luis Tosar — et du réalisateur — Gael Garcia Bernal —), et son corrolaire, celle des rapports entre l’art et la vie. Par sa richesse thématique et narrative mais aussi et surtout son double contexte historique et géographique, Même la pluie s’avère un matériau passionnant pour une utilisation en classe d’Espagnol, qu'on pourra compléter par des éclairages en histoire (sur la découverte de l'Amérique) et en géographie (sur la question de l'accès à l'eau).