Tempête sous un crâne©Zed

Quand Hugo est enseigné en banlieue.

Critique
de Clara Bouffartigue
78 minutes 2012

Après l’école-prison d’Entre les murs de Laurent Cantet, l’école cour des sensibilités adolescentes de Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder, le documentaire Tempête sous un crâne de Clara Bouffartigue nous fait entrevoir la relation pédagogique, à travers le suivi d’une classe de 4ème du collège Joséphine Baker de Saint-Ouen. Par son titre, le film se place d’emblée sous l’égide de Victor Hugo : l'auteur des Misérables et du célèbre chapitre au cours duquel Jean Valjean doit choisir sa voie (étudié pendant les cours qui ont été filmés), mais aussi de la célèbre formule « qui ouvre une école ferme une prison ».

Clara Bouffartigue a choisi de suivre deux enseignantes dans leur travail quotidien : une professeure de Français et une enseignante d’Arts Plastiques. On peut s'interroger sur ce choix : peut-être que ces deux disciplines offrent d’emblée une approche humaniste de l’école, à travers l’acquisition des différentes manières de s’exprimer et la stimulation permanente de cerveaux en formation (même si d'autres enseignements auraient pu compléter le tableau, n’est-ce pas le propre de l’humanisme ?).  Peut-être sont-elles considérées comme plus souples, plus propices à l’expression personnelle, plus "libres", quand bien même le documentaire montre qu'elles sont aussi des espaces de la contrainte : "faire de la lumière avec du noir", "représenter le bruit en silence", "dessiner une forêt sur la page blanche au bic et faire disparaître le blanc", "écrire un J’accuse sur une injustice qui vous touche", "écrire deux quatrains qui décrivent les sensations d’une promenade". Peut-être enfin ces deux disciplines sont-elles celles qui abordent le plus en profondeur la question du langage.

La relation pédagogique n'est qu'effleurée, on n’est pas convié au travail en profondeur et en amont des professeurs. Il s’agit plutôt de faire ressortir la dimension work in progress fondamentale de tout enseignement, celle qui mène les élèves sur la voie de l’autonomie. Mais le film nous plonge aussi, paradoxalement, au cœur de l’apprentissage et de ses difficultés : quels sont ces crânes agités par la tempête ? Ceux des professeurs parfois malmenés, fatigués (et malgré tout toujours bienveillants), ou ceux des élèves confrontés à des situations pédagogiques auxquelles ils doivent faire face ? Ainsi quel chemin doit prendre l’élève face à la difficulté ? La fuite en jouant le clown, le traficoteur, le plagieur ou l’insolent ? L’implication à travers la participation, la remise en cause et le fait de poser des questions ? Cruel dilemme à un âge que tout bouscule, et qui n’a pas encore tous les codes pour s’exprimer.
La force du montage est de jouer sur des subtilités qui démontent les discours convenus : quand Alice réprimande un élève en lui disant : « A l’âge que tu as, tu te tais quand un adulte parle », surgit en écho le « Je vais pas me laisser faire par une petite » d’une élève. Ce télescopage met en lumière le difficile apprentissage des codes : l’élève imite une posture d’adulte en s’adressant à une camarade du même âge, et sans percevoir que cette imitation sert sa mauvaise foi. De la même manière, une élève ne perçoit pas qu’elle manque de respect en traitant un camarade de « sale pédé », alors qu’elle est blessée par le qualificatif d'« insolente » employé par son professeur. On remarque ainsi qu’au début du film, les élèves n’ont que « je vais te tuer » à la bouche les uns des autres : cette menace, souvent assortie d’un sourire, est déjà un jeu avec les codes des films de gangsters ; au fur et à mesure, cette réplique disparaît pour laisser place à d’autres discours (en Français comme en Arts Plastiques), plus valorisants, plus profonds, plus parlants pour ceux qui auront joué le jeu de l'apprentissage…

Le dernier mot du film ("Maman") éclaire à cet égard le travail pédagogique de ces professeurs, bien au-delà des idées convenues : leur accompagnement donne véritablement naissance à d’autres êtres. C’est peut-être le sens de tous ces plans qui donnent à voir les élèves en cour de récréation, comme dans un aquarium, avec une impression de silence qui n’est qu’un bruit étouffé, comme si l’école était une matrice, et l’enseignement un liquide amniotique, certes secoué par quelques « tempêtes », mais d’où la conscience de soi et aussi l’estime de soi émergent. Enfin, un peu d’espoir à un moment où notre école est accusée de tous les maux.