Une bouteille à la mer©Diaphana Distribution

Une bouteille à la mer : de l'autre côté

Critique
de Thierry Binisti
99 minutes 2012

Trop vu, trop entendu, trop débattu : en matière de conflit israélo-palestinien, on a depuis longtemps atteint le point de satiété.
Il serait pourtant dommage de passer à côté d’Une bouteille à la mer de Thierry Binisti. Non pas seulement parce qu’il offre « lueur d’espoir » et montre la « possibilité d’un dialogue » (c’est après tout l’argument de la plupart des films qui s’attaquent à la question), mais aussi et surtout parce que c’est un très beau film de cinéma, qui parvient à transcender son —très lourd — sujet sans pour autant en trahir la complexité.
Thierry Binisti a su adapter avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité le roman de Valérie Zenatti, qui raconte la relation épistolaire (dans une version modernisée par rapport aux classiques du genre : l’email a remplacé le papier) entre une adolescente israélienne et un jeune gazaoui.  
A partir d’un point de départ improbable (la bouteille jetée dans la mer de Gaza pour prendre contact avec quelqu’un « de l’autre côté » et essayer de comprendre les attentats), la grande intelligence du film est de prendre le temps nécessaire pour rendre vraisemblable cette impossible relation. Patiemment, il fait vivre ses personnages et leur entourage (parents, amis…), nous plonge dans leur quotidien de jeunes adultes (Tal l’israélienne a 17 ans, Naïm le palestinien 19), et s’ancre dans la réalité géographique concrète (la découverte de l’impressionnant check-point d’Erez, à la fin du film), et symbolique (le martyre de Massada, mythe fondateur qu’Avi Mograbi analysait dans Pour un seul de mes deux yeux). En filmant  « à hauteur d’adolescent », le film a l’intelligence d’éviter la distribution des bons et des mauvais points, et la recherche d’une impossible objectivité : il montre les profonds contrastes entre la vie de part et d’autre du mur de séparation, l’énorme dissymétrie entre les situations de ses deux héros, la violence de l’opération Plomb durci qui en décembre 2008 plonge Gaza dans le chaos.
Mais il laisse à ses deux héros la possibilité d’inventer d’autres choix que ceux de la haine et du repli : Tal et Naïm, avec leur naïveté, leur générosité, leur ironie (il prend le pseudo de « Gazaman », elle se donne le sobriquet de « Miss Peace »), sont deux beaux personnages, interprétés avec une grâce fiévreuse par deux magnifiques comédiens (Agathe Bonitzer et Mahmoud Shalaby). L’émotion, sobrement contenue tout au long du film (la réalité est trop dure pour les larmes), éclate dans une poignante scène finale : cette relation impossible se conclut d’un simple échange de regards à travers les vitres d’une voiture, regard plus bouleversant que la plus passionnée des étreintes.