Grand Central©Ad Vitam

Grand Central : Tristan et Yseult à Tricastin

Critique
de Rebecca Zlotowski
94 minutes 2013

Qualité de l’interprétation, subtilité du scénario, prégnance angoissante du décor et vérité généreuse des émotions : le deuxième film de Rebecca Zlotowski, Grand Central, présenté dans la sélection Un Certain Regard, est une indéniable réussite de bout en bout…
Gary (Tahar Rahim) est un jeune sans formation, au passé qu’on devine pas très clair. A la recherche d’un emploi coûte que coûte, il se fait embaucher à la centrale nucléaire de Tricastin, par une boîte de sous-traitance à laquelle EDF délègue les tâches les plus exposées et les moins payées. Gilles (Olivier Gourmet) et Tony (Denis  Menochet) le prennent sous leurs ailes et voilà Gary propulsé au sein d’une nouvelle famille dans un camping de mobil-homes… jusqu’à ce que Karole (Léa Seydoux), la future épouse de Tony, lui fasse une magistrale démonstration de "ce que ça fait une dose"… d’irradiation. Et voilà Gary et Karole entraînés comme Tristan et Yseult avant eux à cause d’un maudit philtre, dans une passion brûlante qui ne s’arrêtera pas "comme ça".

Les interprètes font des étincelles, à commencer par Léa Seydoux qui rappelle sans l’imiter la silhouette d’une Marylin Monroe, et Tahar Rahim, dans un personnage d'homme fort, généreux et sensible. Le scénario distille, de manière impressionniste, des éclairages sur les motivations de personnages toujours surprenants, répondant aux questions qu’on n’avait plus songé à se poser, tant les protagonistes nous embarquent dans leur enfer intérieur : pourquoi Karole fait-elle cette démonstration à Gary ? Pourquoi Gilles n’arrête-t-il pas de travailler ? Pourquoi Tony reste-t-il silencieux ? L’arrière-plan social n’est pas oublié pour autant, qui relie ces destinées individuelles à la fatalité de cette usine.

De fait, le mérite de ce "petit" film est d’avoir osé, en ces temps de débat sur l'avenir de la filière de l'atome, reprendre aux grosses productions-catastrophe le décor de la centrale nucléaire. La réalisatrice parvient à recréer une ambiance digne des meilleurs films d’anticipation, en jouant sur le procédé toujours efficace du danger invisible qui plonge le spectateur dans une angoisse permanente. À travers la passion des deux protagonistes et la fatalité qui les enchaîne à cette centrale, elle file avec brio la métaphore amoureuse de l’empoisonnement et de la contamination.