Jeune et jolie©Mars Films

Jeune et jolie : ceci n'est pas une pipe

Critique
de François Ozon
94 minutes 2013

Ceci n'est pas une pipe, ni un film sur la prostitution, pourrait-on dire, en paraphrasant Magritte, à propos du nouveau film de François Ozon. Si Jeune et Jolie met en scène une lycéenne, jeune nymphe du Vème arrondissement, se prostituant en fin d’après-midi à des hommes d'affaire, ce serait un contre-sens que de regarder ce film comme une analyse du phénomène émergent de la prostitution étudiante ("C'est la crise, hein ?" lui demande un de ses clients).

Isabelle/Léa ne fait en effet pas ça pour l’argent (qu'elle accumule sans le dépenser), ni sous la contrainte d'un souteneur qui l’exploiterait. Véritable Lolita qui se dissimule sous ses airs de lycéenne sage, elle se déguise en femme d’affaire de papier glacé pour se vieillir face à ses clients… La psychanalyse trouve son accroche dans le film, à travers une séquence savoureuse de thérapie, mais elle ne restera qu’une porte ouverte parmi d’autres pour tenter de comprendre les motivations d’Isabelle. Celles-ci ne sont pas cartésiennes, et le spectateur prend conscience progressivement de cette nébuleuse sensible qu’incarne le personnage, comme s’il s’agissait de se connaître soi-même sur le mode corporel, de pratiquer une révolte rimbaldienne adolescente sur le mode du "On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans" (le poème Roman, analysé par ses camarades), et enfin de s’affranchir de la norme, qu’elle soit familiale ou scolaire. François Ozon met explicitement cette expérience en relation avec celle des camarades d’Isabelle, s’étourdissant de fêtes, d’alcool et de substances illicites. Etrangement, si le fait de se prostituer rejoint ces comportements addictifs, dans la mesure où il s’agit d’éprouver un danger (c’est-à-dire, le désir), il s’en éloigne pour nous montrer qu’il s’agit également d’une expérience métaphysique. Isabelle joue à être : les séquences érotiques sont filmées comme des fantasmes, images irréelles, baignées de la beauté sublimée de la comédienne qui nous rappellent ce "porno-chic" qui a envahi les pages glacées des magazines. Comme dans un puits sans fond, Isabelle s’abîme à la recherche de quelque chose, qui demeure un mystère, se dissipant quelque peu à la fin.

On peut voir combien François Ozon renoue dans ce film avec les thématiques de ses précédents films : que ce soit Sous le sable, avec l'apparition en deus ex machina de Charlotte Rampling (veuve d'un ex-client de Léa/Isabelle), Swimming pool et ses jeux de miroirs entre la vieille femme et la nymphette, ou Dans la maison, qui plaçait déjà la perversité (ou plutôt la liberté) du côté de ces adolescents. Mais la plus grande réussite du film se savoure dans de nombreuses séquences au comique acide, qui font sans cesse dérailler le film des voies plus convenues qu'il semble menacer d'emprunter.