The lunchbox©Happiness Distribution

The Lunchbox : In(de) the mood for love

Critique
de Ritesh Batra
102 minutes 2013

Le premier long-métrage de Ritesh Batra, découverte de la dernière Semaine de la Critique (Cannes 2013) raconte la magnifique "tombée en amour" de deux personnages que tout oppose : Ila (Nimrat Kaur), jeune épouse délaissée de la classe moyenne, et Saajan (Irrfan Khan, déjà vu dans Slumdog Millionaire, The Amazing Spiderman, L'Histoire de Pi), comptable misanthrope à la veille de la retraite. Cet innamoramento est d'autant plus sublime qu'il est économe de ses effets : loin de tout lyrisme, il se glisse dans les silences, les non-dits et les rendez-vous manqués, et prend pour cadre un Bombay quotidien et réaliste, à cent lieues des sucreries bollywoodiennes.

Comme dans In the mood for love de Wong Kar Waï, on retrouve donc une épouse délaissée : Ila prépare chaque matin des plats délicieux pour reconquérir son mari, et les lui fait livrer au bureau dans la "lunch-box" en métal qui donne son titre au film. On découvre avec curiosité l'organisation des Dabbawallahs, ce système sophistiqué de livraisons quotidiennes qui permet à la population de Bombay de consommer au bureau des plats faits maison. Par extraordinaire (la statistique est d'une erreur sur un million, selon des mathématiciens de Harvard), le livreur se trompe et sert l'un de ces délices, non pas au mari distant, mais à l'inconnu Saajan... La lunch box va ainsi devenir l'espace d'une rencontre gustative et servir à l'échange d'une correspondance, d'abord lapidaire, puis plus ample, dans laquelle chacun des protagonistes va révéler ses failles et ses blessures. Le réalisateur évacue la question morale d'un possible adultère entre Saajan, le veuf et Ila la femme mariée, en montrant la souffrance existentielle d'Ila qui malgré tous ses efforts n'arrive pas à créer le dialogue avec son époux, et dont un fait divers rapporté à la radio (une mère de famille qui se suicide avec ses enfants) laisse entrevoir le destin tragique. Par ailleurs le film se plaît à rapprocher une jeune et belle femme et un homme entrant en vieillesse, qui, même s'il porte toujours beau, commence à "sentir l'odeur de son grand-père" : Saajan refusera la facilité et la vanité de la séduction, contrastant en cela avec le personnage de l'époux volage.

Les destins de ces deux personnages qui n'étaient pas appelés à se croiser sont figurés par les trains bondés, et, surtout, par le trajet de la lunchbox verte, ballottée par les Dabbawallahs dans le labyrinthe inextricable de Bombay.  Même si Ila et Saajan échangent leurs souvenirs nostalgiques d'une Inde passée, le film se tourne résolument vers le futur : il s'agit pour Ila de commencer une nouvelle vie, et pour Ritesh Batra d'envisager une société moins cruelle envers ses femmes… C'est ici qu'il convient d'évoquer Shaikh (Nawazuddin Siddiqui), le troisième personnage du film, jeune employé que Saajan est censé former avant son départ : orphelin aux faux airs de Tony Curtis indien, mi-escroc, mi-héros, Shaikh parvient par son humour gracieux à se faire adopter par Saajan, comme il a réussi à convaincre la famille de son beau-père de célébrer le mariage avec la jeune fille qui avait tout quitté pour lui. Cette touche picaresque ajoute au charme d'un film qui joue sur les sensations, à travers un défilé de plats épicés qui scandent l'évolution intérieure des personnages…

Dès la quatrième, on peut conseiller aux élèves ce très joli film (d'ailleurs sélectionné pour le Prix Jean Renoir des Lycéens 2014) qui offre un regard loin des clichés sur l'Inde. Même si certains passages sont en hindi, le film peut être utilisé en cours d'anglais pour aborder cet ex-pays du Commonwealth. Il pourra également être abordé en cours de géographie pour l'étude de la ville de Mumbaï/Bombay, en Seconde comme étude de cas sur "Villes et développement" durables, en Terminale ES/L pour le chapitre sur "Mumbai, modernité, inégalités". Le film est particulièrement intéressant par son illustration de la mobilité urbaine, celles des hommes (mouvements pendulaires des travailleurs dans les trains de banlieue bondés, embouteillages dantesques dans les rues) comme celle des marchandises (les trajets complexes, utilisant différents moyens de transport, des lunchboxes), et par le tableau des inégalités sociales et spatiales qu'il laisse apparaître en filigrane.