Ida : mémoire de la Pologne

Critique
de Pawel Pawlikowski
82 minutes 2014

Dans la Pologne de 1962, la jeune Ida va prononcer ses voeux pour entrer dans les ordres.  Mais avant cela, elle doit rencontrer sa tante Wanda, seule rescapée d'une famille décimée pendant la guerre. Celle-ci va permettre à Ida de lever le voile à la fois sur son histoire personnelle et sur celle d'une nation polonaise doublement meurtrie, par l'occupation nazie puis par le joug soviétique.
A travers ce "road trip" à deux, le film de Pawel Pawlikowski mêle récit initiatique et réflexion mémorielle. Côté récit initiatique, le parcours d'Ida rappelle celui des héros de romans picaresques, qui se découvrent en même temps qu'ils découvrent le monde. Côté réflexion mémorielle, la confrontation entre Ida et Wanda permet de nouer le dialogue entre deux générations, celle qui a connu la guerre et la prise du pouvoir soviétique, et celle qui hérite de cette histoire qu'elle n'a pas vécu.
Il fallait un personnage vierge comme Ida, à la frontière entre l'innocence de l'enfant et la sagesse de l'adulte, pour incarner le destin de la Pologne à l'orée des années 60. A cet égard, Ida est un film de mémoire plutôt que d'histoire : on trouve dans les non-dits et les secrets esquissés par le film les fondations d'un pays qui a perdu son identité, et qui n'assume plus son passé. Ce retour sur le désastre de la Seconde Guerre mondiale en Pologne à travers des destins individuels soulève également la question de l'identité. Alors que le pays a été deux fois soumis à des gouvernements étrangers qui ont imposé leurs idées (acceptées ou pas par les personnages), la question de savoir qui l'on est par rapport à sa nation se pose. Les deux femmes apparaissent comme des marginales, exclues de la société parce qu'elles sont juives d'abord, mais aussi pour Wanda parce que le vent politique a tourné. A quel moment cesse-t-on d'être considéré comme un membre de la société et pour quels motifs ? Cette question fait écho à la situation du réalisateur lui-même, né en 1957, qui a quitté enfant la Pologne de l'ère communiste pour y revenir adulte, et y poser un regard rétrospectif.
Si le film fonctionne aussi bien, c'est aussi par son approche délicate des figures féminines. Le philosophe Emmanuel Levinas parlait du visage d'autrui comme d'un motif d'élan vers l'autre, comme le principal médium pour comprendre l'invisible. C'est précisemment cela que les gros plans de Pawlikowski nous donnent à voir. Plutôt qu'une narration explicative, c'est sur les visages que l'on devine les motivations, les résolutions ou le désespoir des personnages. L'approche physique du film permet de déjouer ainsi l'écueil des phrases toutes faites, ou des schémas rebattus du scénario pour laisser place à l'imagination, et à l'empathie du spectateur.