Diplomatie©Gaumont Distribution

Et si Paris avait brûlé…

Critique
de Volker Schlöndorff
84 minutes 2014

Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Avec Diplomatie, le public est bien au théâtre et Volker Schlöndorff cherche à peine à l’en faire sortir. Les quelques combats extérieurs comme les prises de vues des abords ou des couloirs de l’hôtel Meurice, qui sert de lieu de rencontre aux deux protagonistes du drame, le diplomate suédois R. Nordling (A. Dussolier) et le général allemand von Choltitz (N. Arestrup), font surtout figure de scènes conventionnelles propres au théâtre filmé. On est donc loin de l’audace iconoclaste du Tambour, Palme d'or en 1979. Diplomatie ne fait que reprendre des thématiques à la mode (cf le prochain Monuments Men de George Clooney) ou s’approprier des recettes éprouvées (celles du brillant Souper d’Édouard Molinaro, 1992).

Mais Volker Schlöndorff a pour lui les atouts de la pièce homonyme de Cyril Gély qui a servi de trame au scénario : des dialogues subtils, un duel rhétorique bien ciselé et servi par des acteurs inspirés. C’est avec plaisir qu’on se laisse prendre par la partie d’échecs engagée, dans la nuit du 24 au 25 août 1944, entre le diplomate suédois et le militaire allemand. En jeu, le sort de Paris, voué à la destruction par Hitler en cas de défaite de la Wehrmacht face aux Alliés conquérants. En pratique, des passes d’armes verbales qui conduisent pas à pas von Choltitz de son aveugle devoir d’obéissance militaire à une humanité réaliste. D'un point de vue historique, les choix scénaristiques paraissent coincés entre poncifs historiographiques et topoi littéraires. Côté littérature, on joue avec l’imaginaire fécond du grand hôtel avec ses chassés croisés de personnages mystérieux, qu’ils soient espions ou courtisanes. Côté historique, on enfonce bon nombre de portes ouvertes. Le mythe d’une Wehrmacht rudoyée par les SS a la peau dure : c’est bien un officier SS qui vient rappeler combien l’humanité de von Choltitz sera fatale à sa famille, sacrifiée sur l’autel d’un Sippenhaft qui consiste à prendre en otage les proches des officiers coupables de trahison ou d’insoumission. Le mythe d’une Ville Lumière qui échappe in extremis à la catastrophe est davantage encore sollicité : au service d’une intrigue qui tente de créer le suspens là même où il n’y en a pas, Volker Schlöndorff fait bien peu de cas du faible nombre de soldats à la disposition de von Choltitz (à peine 20 000), des difficultés de la Wehrmacht à miner l’ensemble des édifices parisiens, des capacités de la résistance parisienne à contrarier ce plan, comme de l’avancée rapide des chars de Leclerc, autant de facteurs qui auraient probablement empêché une destruction totale de la capitale. Dans son traitement des personnages, le film s'inscrit bien dans le contexte mémoriel propre au début du XXIe siècle. Comme souvent désormais, les grands héros sont difficiles à trouver : dans un monde complexe où le bien et le mal se mêlent inextricablement, Choltitz a le courage de résister à Hitler alors même qu’il l’a servi avec zèle à Rotterdam, sur le front de l’Est et dans l’assassinat de la population juive. La mise en écho du film avec les tensions du couple franco-allemand dans la gestion de l’Union européenne, ou même avec le tour de force réalisé par le diplomate Richard Holbrooke (à qui le film est dédié) lorsqu’il convainquit Slobodan Milosevic de mettre un terme à la guerre de Bosnie, sera sans doute plus suggestive pour nos collègues qui enseignent en Terminale.

C'est finalement, moins paradoxalement qu'il n'y paraît, dans les partis pris fictionnels de Volker Schlöndorff que les professeurs d’histoire pourront trouver leur intérêt. Diplomatie est porté par une question majeure qui a agité les débats entre historiens tout au long du XXe siècle. En bâtissant toute l’intrigue du film sur l’idée que le sort de la France, de l’Europe voire même du monde aurait été bien différent si Paris avait été détruite, le réalisateur engage le spectateur dans une réflexion véritablement historiographique. Et si von Choltitz avait obéi à Hitler, l’histoire aurait-elle été différente ? Loin de toute vision téléologique qui sert souvent de fil conducteur aux manuels d’histoire pour expliquer les lendemains de la Seconde Guerre mondiale et les premiers pas de la communauté européenne, Diplomatie propose d’interroger le sens de l’histoire, ses mécanismes tout comme le système causal appliqué par les historiens pour les mettre à jour. Par la confrontation d’événements irréels avec les causes réelles convoquées par les historiens, on renoue avec l’idée fondamentale que l’histoire n’est pas écrite d’avance : les présents des temps passés ont eux aussi été confrontés à l’indétermination. Affirmer que l’histoire du monde aurait changé de cours après la décision de von Choltitz, c’est passer au crible de la critique le rôle des acteurs secondaires (les diplomates ou les militaires), l’influence des schémas explicatifs psychologiques ou culturels plaqués sur l’Europe d’après-guerre, la place des événements traumatisants dans les réactions politiques des peuples confrontés à la dénazification et en proie aux débuts de la Guerre froide. La démarche est stimulante, la solution proposée par Viktor Schlöndorff reste discutable. Pour lui, l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle est fonction des drames de la Seconde Guerre mondiale : le couple De Gaulle – Adenauer, l’alliance franco-allemande et même la communauté européenne n’auraient pas vu le jour si Paris avait disparu. Comment expliquer dès lors que l’Allemagne puisse aujourd’hui s’entendre, au sein de l’Europe, avec la Grande Bretagne et même la Pologne dont les nazis ont détruit les capitales ? La relative indulgence nazie à l’égard des Français (quand elle est comparée au sort des populations slaves et juives) pouvait-elle conditionner de façon décisive les relations franco-allemandes d’après-guerre ? Autant de questions que Diplomatie porte en germe et que nos collègues auront sans doute plaisir à méditer.