Mademoiselle Julie©Splendor Films

Mademoiselle Julie : désamour démodé

Critique
de Alf Sjoberg
90 minutes 2014

En une nuit, une maîtresse s’oppose à un valet, une femme excite un homme et un homme perd une femme : dans sa pièce Mademoiselle Julie (1888), August Strindberg associait les principes a priori contradictoires du classicisme (respect parfait des règles d’unité) et du naturalisme (vérité psychologique des personnages axée sur leur identité sociale et genrée). Dans la version de Liv Ullman, on passe de la Suède à l’Irlande, les décors (de la grand-salle à la chambre, en passant par la cuisine après une scène dans l’escalier, avant l’excursion finale dans les bois) sont dépouillés, les costumes sobres, les silhouettes alentour inexistantes, recentrant le propos sur le visage d’acteurs « performers » (Jessica Chastaing, Colin Farell et Samantha Morton)… mais le propos paraît confus et daté.

À titre de comparaison, la mise en scène de Frédéric Fisbach en 2011, avec Juliette Binoche et Nicolas Bouchaud dans les rôles principaux, rendait la pièce plus lisible à travers les pas de deux de chat et de souris. Les jeux d’opposition entre maître et valet ne paraissent plus compréhensibles à notre époque, surtout lorsqu’ils se doublent de rapports de force entre un homme et une femme dont l’enjeu, l’acte charnel, est donné comme la transgression suprême. L’issue (à tous les sens du terme) évoque Ophélie peinte par les pré-raphaélites, mais la référence demeure superficielle, tant ce qui se passe avant nous paraît lointain et peu propre à susciter l’empathie. Car si la pièce ne semble plus d’actualité, c'est sans doute en partie à cause de la mise en scène surannée de Liv Ulman : les accumulations de gros-plans sur des visages sans cesse crispés, les champs/contre-champs forcés,  la lumière bleutée et froide dénotent une intentionalité à la fois trop évidente et systématique. L'intensité du jeu des acteurs fait écran car elle tient de la performance plus que de l'interprétation, comme s’ils avaient été poussés à bout pour pallier la rigidité de la mise en scène.

On se demande quelle aura été la motivation de la réalisatrice pour s’emparer de cette pièce, si ce n'est le désir à jamais contrarié (comme elle l'avoue elle-même dans le dossier de presse) d'en interpréter le rôle-titre. Le choix de la rousse Jessica Chastaing révèle tout le narcissisme de l’entreprise… tant cette dernière nous rappelle le visage de la jeune Liv Ulman.