Youth©Pathé Distribution

Youth : spleen et idéal

Critique
de Paolo Sorrentino
124 minutes 2015

Tension hugolienne entre sublime et grotesque (ici plutôt en sourdine), recherche permanente d’épiphanies visuelles et sonores (le cinéaste n’a pas son pareil pour accorder images et musiques) qui s’insèrent dans une trame narrative assez lâche : l’esthétique de Paolo Sorrentino, reconnaissable entre toutes, n’a guère changé depuis ses premiers films. Elle continue de diviser critiques et cinéphiles, ses images chic et choc ayant tôt fait de s’abolir dans un clinquant publicitaire, quand elles ne sont pas portées par un propos intelligible.

Or, en remplaçant la fureur des orgiaques nuits romaines pour le calme d’un luxueux hôtel thermal suisse, un personnage de mondain superficiel (le Jep Gambardella de La grande Belleza) par deux artistes prolifiques (Jack le compositeur et Mick le cinéaste), Sorrentino troque l’agitation pour la sérénité, le superficiel pour la profondeur, le vide pour le plein. Un hôtel rempli de curistes, un (ou plutôt deux) créateur(s) en plein doute : difficile de ne pas penser qu’après sa Dolce Vita, le cinéaste italien s’est attaqué avec Youth à son Otto et mezzo. Mais Jack et Mick sont moins saisis par le démon de la création que par le désarroi du vieillessement (ce qui explique l’antiphrase du titre). Tandis que l’un s’agite à la recherche de son "rosebud" (la dernière réplique de son futur film-testament), l’autre, "gros meuble à tiroirs encombré de bilans / De vers, de billets doux, de procès, de romances", s’enfonce dans la "morne incuriosité" que décrivait Baudelaire (Spleen : J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans).

Cet hôtel de luxe peuplé par une faune de riches excentriques (un acteur préparant son prochain rôle, Miss Univers, un Maradona ventripotent…), qui rappelle le Berghof de Thomas Mann (La Montagne magique, 1924) devient ainsi pour Sorrentino le moyen d’une réflexion sur, pêle-mêle la création, l’amour, la grâce et le temps qui passe… Faisant comme à son habitude feu de tout bois, le réalisateur rate parfois sa cible mais touche souvent à l’émotion, portée notamment par les deux monstres sacrés Harvey Keitel et Michael Caine. On n’oubliera pas le visage marmoréen de ce dernier, une fois délaissé par son compère, qui rappelle là encore les derniers vers du poème de Baudelaire : "Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche."