Nothingwood : quand l'Afghanistan fait son cinéma

Critique

Nothingwood : quand l'Afghanistan fait son cinéma

« Bollywood, Hollywood, Nothingwood ! » La formule est de Salim Shaheen, cinéaste afghan aussi prolifique (111 films au compteur) que fauché, qui débarque cette année dans les salles françaises (après un passage remarqué à Cannes à La Quinzaine des réalisateurs) à la faveur d’un documentaire dont il est le héros. « Nothingwood » car le cinéma de Shaheen est celui du (presque) rien : quelques bouts de ficelles, une équipe qui ne dépasse jamais les cinq personnes, trois-quatre jours de tournage en moyenne. Mais c’est un cinéma du rien qui peut tout : produire à la chaîne des films de série Z dans un pays en guerre, et rassembler à chaque fois des centaines d’Afghans dans des salles de projection improvisées. Un cinéma du rien qui dit tout, aussi : le pays en guerre, les conservatismes sociaux, et même les traumatismes enfantins d’un réalisateur apparemment invincible.

Sonia Kronlund, qui a découvert Shaheen il y a une dizaine d’années, explique qu’il donne dans ses films un visage et une voix aux Afghans. Dans ses films, « les gens du peuple sont des héros. Les pauvres réussissent à vaincre les riches. Les faibles sortent vainqueurs. Les puissants sont punis. » Un cinéma de la catharsis donc, sous des allures de franche bouffonnerie – combats outranciers, intermèdes chantés, drames familiaux aux airs de commedia dell’arte. Shaheen crie dans chacun de ses films son amour pour le cinéma, de manière à ce point irrésistible que même les Talibans connaissent ses films par cœur, eux qui voient pourtant dans le cinéma un instrument du diable. 

Embarquer aux côtés d’une telle célébrité était forcément une aventure. Pour filmer Shaheen, Kronlund s’est embarquée de Kaboul à Bamiyan, sur des routes où le danger (enlèvement, attentat, mines) est constant. On est d’ailleurs ému de découvrir à l’écran les sublimes paysages afghans dans lesquels plus aucun touriste ne s’aventure. Là est aussi la puissance magique du cinéma : montrer ce que presque plus personne ne peut voir. Kronlund pourtant ne se met jamais en avant, et préfère laisser le beau rôle à Shaheen. Pour ménager la sensibilité du réalisateur, dont on comprend vite qu’il veut tout contrôler, elle joue de bon cœur la comédie de l’afghan valeureux et de l’occidentale peureuse. Sans non plus s’effacer : seul personnage féminin dans un monde sans femmes, Kronlund et son voile rose se détachent. Elle n’hésite d’ailleurs pas à mettre Shaheen face à ses contradictions, lui qui refuse que ses femmes et ses filles apparaissent dans le documentaire. Kronlund évite ainsi le safari orientalisant : au lieu de filmer Shaheen comme un exotique excentrique, elle ne le traite sans condescendance et le laisse se dévoiler dans toute sa complexité. Le portrait final de ce monstre du cinéma afghan est aussi drôle qu’émouvant, parfois irritant mais toujours généreux.

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« Bollywood, Hollywood, Nothingwood ! » La formule est de Salim Shaheen, cinéaste afghan aussi prolifique (111 films au compteur) que fauché, qui débarque cette année dans les salles françaises (après un passage remarqué à Cannes à La Quinzaine des réalisateurs) à la faveur d’un documentaire dont il est le héros. « Nothingwood » car le cinéma de Shaheen est celui du (presque) rien : quelques bouts de ficelles, une équipe qui ne dépasse jamais les cinq personnes, trois-quatre jours de tournage en moyenne. Mais c’est un cinéma du rien qui peut tout : produire à la chaîne des films de série Z dans un pays en guerre, et rassembler à chaque fois des centaines d’Afghans dans des salles de projection improvisées. Un cinéma du rien qui dit tout, aussi : le pays en guerre, les conservatismes sociaux, et même les traumatismes enfantins d’un réalisateur apparemment invincible.

Sonia Kronlund, qui a découvert Shaheen il y a une dizaine d’années, explique qu’il donne dans ses films un visage et une voix aux Afghans. Dans ses films, « les gens du peuple sont des héros. Les pauvres réussissent à vaincre les riches. Les faibles sortent vainqueurs. Les puissants sont punis. » Un cinéma de la catharsis donc, sous des allures de franche bouffonnerie – combats outranciers, intermèdes chantés, drames familiaux aux airs de commedia dell’arte. Shaheen crie dans chacun de ses films son amour pour le cinéma, de manière à ce point irrésistible que même les Talibans connaissent ses films par cœur, eux qui voient pourtant dans le cinéma un instrument du diable. 

Embarquer aux côtés d’une telle célébrité était forcément une aventure. Pour filmer Shaheen, Kronlund s’est embarquée de Kaboul à Bamiyan, sur des routes où le danger (enlèvement, attentat, mines) est constant. On est d’ailleurs ému de découvrir à l’écran les sublimes paysages afghans dans lesquels plus aucun touriste ne s’aventure. Là est aussi la puissance magique du cinéma : montrer ce que presque plus personne ne peut voir. Kronlund pourtant ne se met jamais en avant, et préfère laisser le beau rôle à Shaheen. Pour ménager la sensibilité du réalisateur, dont on comprend vite qu’il veut tout contrôler, elle joue de bon cœur la comédie de l’afghan valeureux et de l’occidentale peureuse. Sans non plus s’effacer : seul personnage féminin dans un monde sans femmes, Kronlund et son voile rose se détachent. Elle n’hésite d’ailleurs pas à mettre Shaheen face à ses contradictions, lui qui refuse que ses femmes et ses filles apparaissent dans le documentaire. Kronlund évite ainsi le safari orientalisant : au lieu de filmer Shaheen comme un exotique excentrique, elle ne le traite sans condescendance et le laisse se dévoiler dans toute sa complexité. Le portrait final de ce monstre du cinéma afghan est aussi drôle qu’émouvant, parfois irritant mais toujours généreux.