Apocalypto

 

Le géographe Alain Musset, a la franchise de l’annoncer d’emblée: il n’a pas pu ou voulu regarder Apocalypto jusqu’au bout. Mais, son article pour les Cafés Géographiques fait l’effort de dépasser sa réaction épidermique et de s’affranchir de la polémique, pour réfléchir sur un film qu’il attendait d’ailleurs avec impatience : rares sont les réalisateurs qui se sont penchés sur les sociétés préhispaniques, et ça n'a pas été toujours pour le meilleur. "Le 1492 de Ridley Scott est une vaste pantalonnade fondée sur une série de contresens historiques, notamment quand on voit Depardieu Colomb proclamer urbi et orbi qu’il est heureux d’avoir découvert un nouveau monde alors que Christophe (le vrai) a toujours soutenu le contraire : il ne pouvait pas admettre que le Bible avait oublié un continent que ni Pline l’Ancien ni Pierre d’Ailly [1] n’évoquaient dans leurs écrits."Alain Musset ne s’arrête pas aux anachronismes et contresens historiques du film (fort bien résumés dans cette interview de l’historienne Charlotte Arnauld, qui parle de "saupoudrage [documentaire] sur un scénario ethnocentrique occidental"), même si le film joue lui même sur l’ambiguïté ("en choisissant de faire s’exprimer ses acteurs en yucatèque, il adopte un parti pris qui risque de tromper le spectateur en lui faisant croire qu’il y a, derrière les images, un discours d’anthropologue", dixit Musset). Il a le mérite de reconnaître que Mel Gibson "travaille plutôt dans le symbolique et la métaphore.", rappelant notamment la parabole-clé sur l’être humain que raconte l’Ancien lors de la veillée. En évoquant l’apocalypse Maya, c’est la fin de notre monde qu’annonce le réalisateur, en conformité sans doute avec ses convictions religieuses, mais aussi en phase avec l’écologisme inquiet qui baigne nos sociétés occidentales en ce début de millénaire (cf Une vérité qui dérange).De la même manière que Terence Malick avec Le Nouveau Monde, il s’inscrit également dans une tradition philosophique anglo-saxonne "qui consiste à dénigrer le monde urbain et à parer la nature sauvage (wilderness) de toutes les vertus. Patte de jaguar devient le porte-parole imprévu des deux penseurs, Thoreau et Emerson, qui ont durablement marqué la philosophie nord-américaine en dénonçant les maux de la ville moderne et du machinisme triomphant." Mais si le film de Malick dépeignait, un peu angéliquement, les amérindiens en bons sauvages, Gibson verse, par la surenchère de violence, dans l’excès inverse. Au delà de la fascination de l’auteur (et du public, à en juger par le succès du film outre-Atlantique) pour la violence, Alain Musset y voit un parti pris très idéologique : "Un tel spectacle justifie a posteriori la conquête de l’Amérique, le massacre des populations rétives et la conversion forcée des survivants. D’ailleurs, le réalisateur sous-entend que ces Indiens polythéistes étaient prêts, sans le savoir, à écouter la parole divine. Quand une mère obligée d’abandonner ses enfants au bord de la rivière adresse une douce prière à Ixchel, déesse de la Terre et de la Lune, femme d’Itzamma et protectrice des femmes enceintes, c’est la Vierge Marie qui se profile à l’horizon. Comme Gibson, les prêtres Espagnols ont longtemps cherché dans les pratiques religieuses des populations indigènes des signes d’une évangélisation oubliée et certains groupes religieux nord-américains ont financé des fouilles archéologiques dans le Chiapas afin de retrouver les traces des dix tribus perdues d’Israël."On s’avouera plus dubitatifs sur ce point : n’est-ce pas un procès d’intention fait à l’auteur de La Passion du Christ plus qu’un trait déterminant du film ? La politique des auteurs, qui a sauvé tant de petits films de grands réalisateurs, semble dans le cas de Mel Gibson s’appliquer plutôt à charge…

[Apocalypto de Mel Gibson. 2006. Durée : 2 h 18. Distribution : Quinta Communication. Sortie le 10 Janvier 2007]

 

Le géographe Alain Musset, a la franchise de l’annoncer d’emblée: il n’a pas pu ou voulu regarder Apocalypto jusqu’au bout. Mais, son article pour les Cafés Géographiques fait l’effort de dépasser sa réaction épidermique et de s’affranchir de la polémique, pour réfléchir sur un film qu’il attendait d’ailleurs avec impatience : rares sont les réalisateurs qui se sont penchés sur les sociétés préhispaniques, et ça n'a pas été toujours pour le meilleur. "Le 1492 de Ridley Scott est une vaste pantalonnade fondée sur une série de contresens historiques, notamment quand on voit Depardieu Colomb proclamer urbi et orbi qu’il est heureux d’avoir découvert un nouveau monde alors que Christophe (le vrai) a toujours soutenu le contraire : il ne pouvait pas admettre que le Bible avait oublié un continent que ni Pline l’Ancien ni Pierre d’Ailly [1] n’évoquaient dans leurs écrits."Alain Musset ne s’arrête pas aux anachronismes et contresens historiques du film (fort bien résumés dans cette interview de l’historienne Charlotte Arnauld, qui parle de "saupoudrage [documentaire] sur un scénario ethnocentrique occidental"), même si le film joue lui même sur l’ambiguïté ("en choisissant de faire s’exprimer ses acteurs en yucatèque, il adopte un parti pris qui risque de tromper le spectateur en lui faisant croire qu’il y a, derrière les images, un discours d’anthropologue", dixit Musset). Il a le mérite de reconnaître que Mel Gibson "travaille plutôt dans le symbolique et la métaphore.", rappelant notamment la parabole-clé sur l’être humain que raconte l’Ancien lors de la veillée. En évoquant l’apocalypse Maya, c’est la fin de notre monde qu’annonce le réalisateur, en conformité sans doute avec ses convictions religieuses, mais aussi en phase avec l’écologisme inquiet qui baigne nos sociétés occidentales en ce début de millénaire (cf Une vérité qui dérange).De la même manière que Terence Malick avec Le Nouveau Monde, il s’inscrit également dans une tradition philosophique anglo-saxonne "qui consiste à dénigrer le monde urbain et à parer la nature sauvage (wilderness) de toutes les vertus. Patte de jaguar devient le porte-parole imprévu des deux penseurs, Thoreau et Emerson, qui ont durablement marqué la philosophie nord-américaine en dénonçant les maux de la ville moderne et du machinisme triomphant." Mais si le film de Malick dépeignait, un peu angéliquement, les amérindiens en bons sauvages, Gibson verse, par la surenchère de violence, dans l’excès inverse. Au delà de la fascination de l’auteur (et du public, à en juger par le succès du film outre-Atlantique) pour la violence, Alain Musset y voit un parti pris très idéologique : "Un tel spectacle justifie a posteriori la conquête de l’Amérique, le massacre des populations rétives et la conversion forcée des survivants. D’ailleurs, le réalisateur sous-entend que ces Indiens polythéistes étaient prêts, sans le savoir, à écouter la parole divine. Quand une mère obligée d’abandonner ses enfants au bord de la rivière adresse une douce prière à Ixchel, déesse de la Terre et de la Lune, femme d’Itzamma et protectrice des femmes enceintes, c’est la Vierge Marie qui se profile à l’horizon. Comme Gibson, les prêtres Espagnols ont longtemps cherché dans les pratiques religieuses des populations indigènes des signes d’une évangélisation oubliée et certains groupes religieux nord-américains ont financé des fouilles archéologiques dans le Chiapas afin de retrouver les traces des dix tribus perdues d’Israël."On s’avouera plus dubitatifs sur ce point : n’est-ce pas un procès d’intention fait à l’auteur de La Passion du Christ plus qu’un trait déterminant du film ? La politique des auteurs, qui a sauvé tant de petits films de grands réalisateurs, semble dans le cas de Mel Gibson s’appliquer plutôt à charge…

[Apocalypto de Mel Gibson. 2006. Durée : 2 h 18. Distribution : Quinta Communication. Sortie le 10 Janvier 2007]