The Good German : guerre et paix

The Good German : guerre et paix

En présentant The Good Shepherd de Robert de Niro et The Good German de Steven Soderbergh, Berlin place cette année son Festival sous le signe du retour. Projetés dans le Grand Palais des festivals près de la Potsdamer Platz, les deux films retrouvent en quelque sorte leur site d'origine... celui des tas de gravats qui occupaient précisément ces lieux soidante deux ans auparavant. Alors que The Good Shepherd, qui retrace les premiers pas de la CIA, se déroule partiellement dans les ruines de Berlin à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Steven Soderbergh choisit d'en faire le théâtre principal de son film.Pour adapter à l'écran le très long roman de Joseph Kanon (L'Ami Allemand), dont l'intrigue policière se noue autour de la conférence de Potsdam en juillet-août 1945, S. Soderbergh ne se contente pas de faire resurgir les ruines de la capitale du IIIe Reich. Il propose également un retour aux sources du cinéma hollywoodien, en signant une mise en scène et des dialogues en forme d'hommage aux films noirs des années 1940. C'est en effet dans une atmosphère digne des meilleurs polars de la décennie (Le Faucon maltais de John Huston, 1941 et Le Grand Sommeil d'Howard Hawks, 1946) que le réalisateur décide de nous faire vivre les mésaventures de Jake Geismar (George Clooney). Amateur de whisky et de bars enfumés, assommé à intervalles réguliers, se déplaçant dans de vieilles voitures aux allures saccadées, George Clooney mène l'enquête à la manière de Humphrey Bogart. Confronté à des ennemis qui, comme lui, n'hésitent pas à se salir les mains, il cherche puis aide l'ancien SS Emil Brandt. Oubliant rapidement ses convictions antinazies, il agit ainsi dans le vain espoir de conquérir sa femme Lena Brandt (Cate Blanchett), dont les charmes bergmaniens l'ont déjà fait succomber avant guerre. La tâche est rude et sordide. Ancien secrétaire du concepteur des V2, Emil Brandt est effectivement l'objet de toutes les convoitises : Américains et Soviétiques préparent déjà la Guerre Froide et veulent mettre la main sur le scientifique. La femme de Brandt, Lena, juive qui a donné ses coreligionaires à la Gestapo pour échapper au camp, voit maintenant en lui un objet monnayable pour quitter Berlin. Emil Brandt sera finalement assassiné, au milieu d'une foule à l'indifférence toute hitchcockienne, par un ancien tortionnaire des camps de la mort.L'intérêt du film ne se limite pas à cette simple intrigue policière. S. Soderbergh choisit également d'y livrer sa conception de la vie politique... une vie politique à deux faces qui trouve son expression dans le montage même du film. Aux images d'archives sont associés les beaux principes démocratiques et humanistes, proclamés haut et fort par Staline, Churchill et Truman réunis, tout sourire, à Potsdam. Aux images tournées en studio à Hollywood, le réalisateur réserve les bas fonds de la politique alliée. Ces deux visages de la politique sont étroitement associés : le cynisme et l'immoralité, qui règnent en maître dans les ruines de Berlin, sont des armes indispensables aux Alliés pour construire le monde libre.The Good German évoque des thèmes longuement étudiés en classe de Première et de Terminale générales. On pourra ainsi s'attacher à expliquer les quelques allusions au génocide (notamment la différence entre les camps d'extermination et de concentration, les expériences scientifiques menées par les médecins SS, le travail forcé nécessaire aux nazis pour continuer la guerre totale contre les Alliés). Le film soulève également des problèmes plus complexes, souvent objet de débats historiographiques. Il faudra alors se pencher sur la question des limites de la dénazification mais aussi et surtout sur le problème de la participation des Allemands ordinaires aux crimes nazis : dans une conception parfois assez proche de celle de Daniel J. Goldhagen, le film postule à plusieurs reprises que les simples Allemands connaissaient parfaitement l'existence de la Shoah, et que certains y ont participé en toute bonne conscience, à l'image de cet homme qui se conçoit comme un simple camionneur alors qu'il a passé la guerre à gazer des juifs. On pourra enfin puiser dans ce long métrage quelques allusions aux débuts de la Guerre Froide utiles pour débuter le programme de Terminale (notamment le partage de Berlin en quatre zones, très graphiquement illustré sur le site du film, les premières tensions entre les Américains et les Soviétiques à partir de la Conférence de Potsdam, l'utilisation de la Bombe atomique dans le conflit à venir...).Il n'est cependant pas certain que l'intérêt principal de ce film réside dans la qualité de ses reconstitutions historiques ni même dans sa mise en scène. Si les dialogues et les images rappellent effectivement les années 1940, l'esprit du film en est très loin. En prenant l'exact contrepied de Casablanca (M. Curtiz, 1942), dans lequel, pour l'amour d'une femme, Bogart s'engageait aux côtés des Alliés pour lutter contre le nazisme, Soderbergh présente, dans une conception cinématographique à la mode, un monde où la ligne de partage entre le bien et le mal n'existe pas. Ni victimes ni bourreaux, tous appartiennent à la même humanité cynique et égoïste. A ce titre, The Good German est bien plus proche de l'univers désabusé et complexe de Black Book de Paul Verhoeven que des films noirs hollywoodiens d'après guerre. Plus qu'un retour en arrière, il faut probablement voir en ce film à l'esthétique rétro mais au propos très contemporain un commentaire acide sur l'administration Bush qui, à l'image des GI's ici mis en scène, est prête à se salir les mains et à violer au quotidien les principes démocratiques qu'elle proclame pour occuper la capitale irakienne.

[The Good German de Steven Soderbergh. 2006. Durée : 1 h 45. Distribution : Warner Bros. Sortie le 14 février 2007]

En présentant The Good Shepherd de Robert de Niro et The Good German de Steven Soderbergh, Berlin place cette année son Festival sous le signe du retour. Projetés dans le Grand Palais des festivals près de la Potsdamer Platz, les deux films retrouvent en quelque sorte leur site d'origine... celui des tas de gravats qui occupaient précisément ces lieux soidante deux ans auparavant. Alors que The Good Shepherd, qui retrace les premiers pas de la CIA, se déroule partiellement dans les ruines de Berlin à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Steven Soderbergh choisit d'en faire le théâtre principal de son film.Pour adapter à l'écran le très long roman de Joseph Kanon (L'Ami Allemand), dont l'intrigue policière se noue autour de la conférence de Potsdam en juillet-août 1945, S. Soderbergh ne se contente pas de faire resurgir les ruines de la capitale du IIIe Reich. Il propose également un retour aux sources du cinéma hollywoodien, en signant une mise en scène et des dialogues en forme d'hommage aux films noirs des années 1940. C'est en effet dans une atmosphère digne des meilleurs polars de la décennie (Le Faucon maltais de John Huston, 1941 et Le Grand Sommeil d'Howard Hawks, 1946) que le réalisateur décide de nous faire vivre les mésaventures de Jake Geismar (George Clooney). Amateur de whisky et de bars enfumés, assommé à intervalles réguliers, se déplaçant dans de vieilles voitures aux allures saccadées, George Clooney mène l'enquête à la manière de Humphrey Bogart. Confronté à des ennemis qui, comme lui, n'hésitent pas à se salir les mains, il cherche puis aide l'ancien SS Emil Brandt. Oubliant rapidement ses convictions antinazies, il agit ainsi dans le vain espoir de conquérir sa femme Lena Brandt (Cate Blanchett), dont les charmes bergmaniens l'ont déjà fait succomber avant guerre. La tâche est rude et sordide. Ancien secrétaire du concepteur des V2, Emil Brandt est effectivement l'objet de toutes les convoitises : Américains et Soviétiques préparent déjà la Guerre Froide et veulent mettre la main sur le scientifique. La femme de Brandt, Lena, juive qui a donné ses coreligionaires à la Gestapo pour échapper au camp, voit maintenant en lui un objet monnayable pour quitter Berlin. Emil Brandt sera finalement assassiné, au milieu d'une foule à l'indifférence toute hitchcockienne, par un ancien tortionnaire des camps de la mort.L'intérêt du film ne se limite pas à cette simple intrigue policière. S. Soderbergh choisit également d'y livrer sa conception de la vie politique... une vie politique à deux faces qui trouve son expression dans le montage même du film. Aux images d'archives sont associés les beaux principes démocratiques et humanistes, proclamés haut et fort par Staline, Churchill et Truman réunis, tout sourire, à Potsdam. Aux images tournées en studio à Hollywood, le réalisateur réserve les bas fonds de la politique alliée. Ces deux visages de la politique sont étroitement associés : le cynisme et l'immoralité, qui règnent en maître dans les ruines de Berlin, sont des armes indispensables aux Alliés pour construire le monde libre.The Good German évoque des thèmes longuement étudiés en classe de Première et de Terminale générales. On pourra ainsi s'attacher à expliquer les quelques allusions au génocide (notamment la différence entre les camps d'extermination et de concentration, les expériences scientifiques menées par les médecins SS, le travail forcé nécessaire aux nazis pour continuer la guerre totale contre les Alliés). Le film soulève également des problèmes plus complexes, souvent objet de débats historiographiques. Il faudra alors se pencher sur la question des limites de la dénazification mais aussi et surtout sur le problème de la participation des Allemands ordinaires aux crimes nazis : dans une conception parfois assez proche de celle de Daniel J. Goldhagen, le film postule à plusieurs reprises que les simples Allemands connaissaient parfaitement l'existence de la Shoah, et que certains y ont participé en toute bonne conscience, à l'image de cet homme qui se conçoit comme un simple camionneur alors qu'il a passé la guerre à gazer des juifs. On pourra enfin puiser dans ce long métrage quelques allusions aux débuts de la Guerre Froide utiles pour débuter le programme de Terminale (notamment le partage de Berlin en quatre zones, très graphiquement illustré sur le site du film, les premières tensions entre les Américains et les Soviétiques à partir de la Conférence de Potsdam, l'utilisation de la Bombe atomique dans le conflit à venir...).Il n'est cependant pas certain que l'intérêt principal de ce film réside dans la qualité de ses reconstitutions historiques ni même dans sa mise en scène. Si les dialogues et les images rappellent effectivement les années 1940, l'esprit du film en est très loin. En prenant l'exact contrepied de Casablanca (M. Curtiz, 1942), dans lequel, pour l'amour d'une femme, Bogart s'engageait aux côtés des Alliés pour lutter contre le nazisme, Soderbergh présente, dans une conception cinématographique à la mode, un monde où la ligne de partage entre le bien et le mal n'existe pas. Ni victimes ni bourreaux, tous appartiennent à la même humanité cynique et égoïste. A ce titre, The Good German est bien plus proche de l'univers désabusé et complexe de Black Book de Paul Verhoeven que des films noirs hollywoodiens d'après guerre. Plus qu'un retour en arrière, il faut probablement voir en ce film à l'esthétique rétro mais au propos très contemporain un commentaire acide sur l'administration Bush qui, à l'image des GI's ici mis en scène, est prête à se salir les mains et à violer au quotidien les principes démocratiques qu'elle proclame pour occuper la capitale irakienne.

[The Good German de Steven Soderbergh. 2006. Durée : 1 h 45. Distribution : Warner Bros. Sortie le 14 février 2007]