La Guerre selon Charlie Wilson : les deux côtés de la rue

La Guerre selon Charlie Wilson : les deux côtés de la rue

Réintroduire un peu de complexité et d’interrogations dans la vision qu’ont les Américains de l’histoire récente et du monde d’aujourd’hui : tel est le credo de la société Participant Productions, à qui l’on doit déjà des films comme Syriana, Good Night and good luck, Fast food nation, Une vérité qui dérange. Telle est également l’idée-force de sa nouvelle production, réalisée par le vétéran Mike Nichols et incarné par un trio de stars (Tom Hanks, Julia Roberts, Philip Seymour Hoffman) : La Guerre selon Charlie Wilson.Le film la résume d’ailleurs explicitement dans une parabole transparente (la "fable du maître zen"), que l'on ne gâchera pas en la racontant ici, mais que l’on peut résumer de la manière suivante : en politique étrangère il n’y a pas le bien et le mal, les good guys et les bad guys, les guerres justes et les autres, mais des décisions ambigües aux conséquences imprévisibles.En s’attachant aux basques de Charlie Wilson (Tom Hanks) député démocrate fantasque et jouisseur, mais surtout artisan secret de l’armement de la résistance afghane face à l’invasion soviétique (qui aboutit à la fin des années 80 au retrait de l’Armée rouge), le film de Mike Nichols revient aux sources de l’Afghanistan contemporain, dominé par les talibans et foyer du terrorisme international. Et pose la question subliminale suivante : en soutenant aveuglement l’ennemi de leur ennemi soviétique et en se désengageant ensuite, les Américains n’ont ils pas ouvert la boîte de Pandore dont sortiraient notamment les attentats du 11 septembre ? Ou, comme le résume plus plaisamment dans le film un membre des services secrets israéliens : en traversant la rue, les Américains ont-ils bien pensé à regarder des deux côtés de la rue ?A la différence des précédentes productions Participant, confiées à des réalisateurs émergents, La Guerre selon Charlie Wilson souffre hélas du traitement assez conventionnel de Mike Nichols : tourné sur le mode de la comédie satirique, le film fait la part belle à ses acteurs et se gargarise de dialogues ciselés (parfois difficiles à suivre en V.O. sous-titrée). C’est quand il quitte les couloirs du congrès américain et de la politique américaine (cf le Primary Colors de Nichols sur la campagne de Clinton) pour voler vers l’Orient qu’il est le moins crédible, le ton hésitant entre dérisoire (la visite de Wilson à Islamabad, qui ne déparerait pas dans le prochain OSS 117) et sérieux (plans d’enfants mutilés par les mines soviétiques). N’osant aller très loin ni dans la bouffonnerie, ni dans la dénonciation politique (il faut vraiment tendre l’oreille pour saisir les allusions aux futures talibans), La Guerre selon Charlie Wilson reste une œuvre brillante mais superficielle, et donc sans grand intérêt pédagogique même si elle croise le programme d'Histoire de Terminale ("A la recherche d’un nouvel ordre mondial depuis les années 1970").On trouvera sur le site du Monde Diplomatique, sous la plume de l’historien américain George Chalmers, une critique beaucoup plus virulente du film : "Le film accorde aussi peu d’égards aux faits que le livre, notamment en affirmant que l’aide américaine était principalement destinée au commandant Massoud, alors que la CIA finançait des factions bien plus extrémistes, comme celle de Gulbuddin Hekmatyar, qui s’associera plus tard avec Ben Laden. (…) ici, le comique ne crée aucune distance critique. Il ne sert qu’à renvoyer tout le monde dos à dos et à dédramatiser les choses, en les rendant amusantes ou simplement sans conséquence. (…) Aussi partisan et indifférent au sort des Afghans que le livre dont il est tiré, La Guerre selon Charlie Wilson est, "davantage qu’un mauvais film historique, une apologie de l’amnésie volontaire"(3)

[La Guerre selon Charlie Wilson de Mike Nichols. 2007. Durée : 1 h 45. Distribution : Paramount Pictures France. Sortie le 16 janvier 2008]

Réintroduire un peu de complexité et d’interrogations dans la vision qu’ont les Américains de l’histoire récente et du monde d’aujourd’hui : tel est le credo de la société Participant Productions, à qui l’on doit déjà des films comme Syriana, Good Night and good luck, Fast food nation, Une vérité qui dérange. Telle est également l’idée-force de sa nouvelle production, réalisée par le vétéran Mike Nichols et incarné par un trio de stars (Tom Hanks, Julia Roberts, Philip Seymour Hoffman) : La Guerre selon Charlie Wilson.Le film la résume d’ailleurs explicitement dans une parabole transparente (la "fable du maître zen"), que l'on ne gâchera pas en la racontant ici, mais que l’on peut résumer de la manière suivante : en politique étrangère il n’y a pas le bien et le mal, les good guys et les bad guys, les guerres justes et les autres, mais des décisions ambigües aux conséquences imprévisibles.En s’attachant aux basques de Charlie Wilson (Tom Hanks) député démocrate fantasque et jouisseur, mais surtout artisan secret de l’armement de la résistance afghane face à l’invasion soviétique (qui aboutit à la fin des années 80 au retrait de l’Armée rouge), le film de Mike Nichols revient aux sources de l’Afghanistan contemporain, dominé par les talibans et foyer du terrorisme international. Et pose la question subliminale suivante : en soutenant aveuglement l’ennemi de leur ennemi soviétique et en se désengageant ensuite, les Américains n’ont ils pas ouvert la boîte de Pandore dont sortiraient notamment les attentats du 11 septembre ? Ou, comme le résume plus plaisamment dans le film un membre des services secrets israéliens : en traversant la rue, les Américains ont-ils bien pensé à regarder des deux côtés de la rue ?A la différence des précédentes productions Participant, confiées à des réalisateurs émergents, La Guerre selon Charlie Wilson souffre hélas du traitement assez conventionnel de Mike Nichols : tourné sur le mode de la comédie satirique, le film fait la part belle à ses acteurs et se gargarise de dialogues ciselés (parfois difficiles à suivre en V.O. sous-titrée). C’est quand il quitte les couloirs du congrès américain et de la politique américaine (cf le Primary Colors de Nichols sur la campagne de Clinton) pour voler vers l’Orient qu’il est le moins crédible, le ton hésitant entre dérisoire (la visite de Wilson à Islamabad, qui ne déparerait pas dans le prochain OSS 117) et sérieux (plans d’enfants mutilés par les mines soviétiques). N’osant aller très loin ni dans la bouffonnerie, ni dans la dénonciation politique (il faut vraiment tendre l’oreille pour saisir les allusions aux futures talibans), La Guerre selon Charlie Wilson reste une œuvre brillante mais superficielle, et donc sans grand intérêt pédagogique même si elle croise le programme d'Histoire de Terminale ("A la recherche d’un nouvel ordre mondial depuis les années 1970").On trouvera sur le site du Monde Diplomatique, sous la plume de l’historien américain George Chalmers, une critique beaucoup plus virulente du film : "Le film accorde aussi peu d’égards aux faits que le livre, notamment en affirmant que l’aide américaine était principalement destinée au commandant Massoud, alors que la CIA finançait des factions bien plus extrémistes, comme celle de Gulbuddin Hekmatyar, qui s’associera plus tard avec Ben Laden. (…) ici, le comique ne crée aucune distance critique. Il ne sert qu’à renvoyer tout le monde dos à dos et à dédramatiser les choses, en les rendant amusantes ou simplement sans conséquence. (…) Aussi partisan et indifférent au sort des Afghans que le livre dont il est tiré, La Guerre selon Charlie Wilson est, "davantage qu’un mauvais film historique, une apologie de l’amnésie volontaire"(3)

[La Guerre selon Charlie Wilson de Mike Nichols. 2007. Durée : 1 h 45. Distribution : Paramount Pictures France. Sortie le 16 janvier 2008]