Re-lecture : Soyez sympa, rembobinez

Re-lecture : Soyez sympa, rembobinez

Cette nouvelle rubrique propose une autre lecture d'un film sorti récemment, en faisant appel aux concepts et aux auteurs de la philosophie. Précédemment dans la rubrique : De l'autre côté de Fatih Akin

Professeurs acculés à des moyens techniques obsolètes par des fonds éducatifs toujours plus restreints, consolez-vous et retenez la leçon : une vieille caméra de huit kilos et un bon stock de cassettes vidéo et l’on accède à l’une des vérités les plus essentielles, la réponse à la question "qui suis-je ?" Soyez sympas, rembobinez (Be kind rewind) de Michel Gondry est un éloge et une revendication forte, celle de la valeur de ce qu’il faudra sans doute désormais appeler le "sweding" et qui a été pensé il y a quelques années - certes en d’autres termes - par Hegel. Qu’est-ce donc qu’un film "suédé" ? Cette appellation, improvisée par le comédien Jack Black, désigne un processus de re-création d’un film déjà existant, à l’aide de procédés modestes, d’effets spéciaux particulièrement inventifs et de décors très développement durable, le tout dans un temps record. Une reproduction à la fois synthétique, essentielle et surtout décalée, de l’œuvre en question autour de scènes emblématiques, de répliques ou de mélodies cultes, pourtant légèrement revisitées. Et Hegel dans tout cela ? Dans l’Esthétique, Hegel soutient l’idée selon laquelle le sujet existe à travers ce qu’il fait, se réalise dans sa création, se reconnaît et obtient la reconnaissance des autres par le biais de la marque qu’il imprime au réel. La création est appropriation du monde, mais aussi et surtout, réappropriation, même fantasque et délirante, de soi. Dans le geste créateur, même minimal, l’individu forge sa propre identité, l’affirme au yeux des autres et aux siens. Même l’enfant, dit Hegel, manifeste ce besoin lorsqu’il admire les cercles formés à la surface de l’eau par la pierre qu’il y a jetée. Les héros de Gondry l’ont bien compris (en fait, surtout Alma, mais laissons à Jerry et Mike l’illusion de l’avoir compris en même temps…) qui font participer les habitants de Passaic au film sur le jazzman Fats Waller, héros "local". Le regard réjoui des jeunes garçons sur leur propre prestation de petits caïds dans le film en dit long. Mais la création est aussi un élément de libération. Comme le dit Mia Farrow, "notre passé nous appartient, on peut en faire ce que l’on veut." Dans le film consacré à Fats Waller, les habitants de Passaic créent leur propre légende, se réapproprient leur passé et cessent de le subir, le transformant en objet de fierté. Notre passé n’est pas un poids contraignant, il n’est qu’un matériau auquel nous pouvons donner la forme que nous voulons. En contrepartie, la liberté est aussi celle du spectateur. Le sens que je donne à un film n’est pas imposé par le réalisateur. Dans la scène finale, Gondry montre deux perspectives possibles sur un même film : celle des spectateurs assis dans le vidéo club et celle de la foule réunie à l’extérieur du magasin, qui regarde le film à l’envers et sans le son (il est projeté de l’intérieur du vidéo club sur un drap blanc suspendu devant la vitrine). S’il y a donc plusieurs manières de voir un même film, dans cette dernière scène du film, les spectateurs rient, des deux côtés de l’écran. Dans la salle de cinéma aussi. Difficile avec Be kind rewind de faire autrement.

[Soyez sympa, rembobinez (Be kind rewind) de Michel Gondry. 2008. Durée : 1 h 34. Distribution : Europacorp. Sortie le 5 mars 2008]

Cette nouvelle rubrique propose une autre lecture d'un film sorti récemment, en faisant appel aux concepts et aux auteurs de la philosophie. Précédemment dans la rubrique : De l'autre côté de Fatih Akin

Professeurs acculés à des moyens techniques obsolètes par des fonds éducatifs toujours plus restreints, consolez-vous et retenez la leçon : une vieille caméra de huit kilos et un bon stock de cassettes vidéo et l’on accède à l’une des vérités les plus essentielles, la réponse à la question "qui suis-je ?" Soyez sympas, rembobinez (Be kind rewind) de Michel Gondry est un éloge et une revendication forte, celle de la valeur de ce qu’il faudra sans doute désormais appeler le "sweding" et qui a été pensé il y a quelques années - certes en d’autres termes - par Hegel. Qu’est-ce donc qu’un film "suédé" ? Cette appellation, improvisée par le comédien Jack Black, désigne un processus de re-création d’un film déjà existant, à l’aide de procédés modestes, d’effets spéciaux particulièrement inventifs et de décors très développement durable, le tout dans un temps record. Une reproduction à la fois synthétique, essentielle et surtout décalée, de l’œuvre en question autour de scènes emblématiques, de répliques ou de mélodies cultes, pourtant légèrement revisitées. Et Hegel dans tout cela ? Dans l’Esthétique, Hegel soutient l’idée selon laquelle le sujet existe à travers ce qu’il fait, se réalise dans sa création, se reconnaît et obtient la reconnaissance des autres par le biais de la marque qu’il imprime au réel. La création est appropriation du monde, mais aussi et surtout, réappropriation, même fantasque et délirante, de soi. Dans le geste créateur, même minimal, l’individu forge sa propre identité, l’affirme au yeux des autres et aux siens. Même l’enfant, dit Hegel, manifeste ce besoin lorsqu’il admire les cercles formés à la surface de l’eau par la pierre qu’il y a jetée. Les héros de Gondry l’ont bien compris (en fait, surtout Alma, mais laissons à Jerry et Mike l’illusion de l’avoir compris en même temps…) qui font participer les habitants de Passaic au film sur le jazzman Fats Waller, héros "local". Le regard réjoui des jeunes garçons sur leur propre prestation de petits caïds dans le film en dit long. Mais la création est aussi un élément de libération. Comme le dit Mia Farrow, "notre passé nous appartient, on peut en faire ce que l’on veut." Dans le film consacré à Fats Waller, les habitants de Passaic créent leur propre légende, se réapproprient leur passé et cessent de le subir, le transformant en objet de fierté. Notre passé n’est pas un poids contraignant, il n’est qu’un matériau auquel nous pouvons donner la forme que nous voulons. En contrepartie, la liberté est aussi celle du spectateur. Le sens que je donne à un film n’est pas imposé par le réalisateur. Dans la scène finale, Gondry montre deux perspectives possibles sur un même film : celle des spectateurs assis dans le vidéo club et celle de la foule réunie à l’extérieur du magasin, qui regarde le film à l’envers et sans le son (il est projeté de l’intérieur du vidéo club sur un drap blanc suspendu devant la vitrine). S’il y a donc plusieurs manières de voir un même film, dans cette dernière scène du film, les spectateurs rient, des deux côtés de l’écran. Dans la salle de cinéma aussi. Difficile avec Be kind rewind de faire autrement.

[Soyez sympa, rembobinez (Be kind rewind) de Michel Gondry. 2008. Durée : 1 h 34. Distribution : Europacorp. Sortie le 5 mars 2008]