
Ben Hur : turbo-peplum
Timour Bekmambetov réussirait-il mieux, dans l’art du peplum, que William Wyler ? La question sonne comme une provocation à l’heure de la déferlante des critiques contre le nouveau Ben-Hur. Le dernier blockbuster de l’été fait bien pâle figure à côté de son aîné de 1959. Rien ne lui est épargné. Incapable de renouer avec son roman d’origine (L. Wallace, Ben-Hur : A Tale of the Christ, 1880), le film n’a ni âme ni raison d’être. La narration aussi incohérente que linéaire sape la dramaturgie de l’épopée. Le scenario se réduit à de simples considérations psychologisantes. La débauche des effets numériques condamne la superproduction à la laideur. Les acteurs ne parviennent jamais à se hisser à la hauteur de leurs prédécesseurs (Charlton Heston, Stephen Boyd). Même la coupe de cheveux rasta de Morgan Freeman est ridicule… A peine sorti, le nouveau long métrage du réalisateur kazakh est renvoyé, par les cinéphiles, aux oubliettes de l’histoire du cinéma. Il s’avançait de toute façon en terrain miné. L’auteur des derniers nanars numériques américains (Night Watch, Wanted, Abraham Lincoln, chasseur de vampires…) pouvait-il sérieusement rivaliser avec le monument de l’âge d’or hollywoodien des années 1950 ? Avec ses 11 oscars et l’effet de la nostalgie, le Ben-Hur de W. Wyler a perdu, au fil des décennies, ses défauts pour se hisser au rang de classique indépassable.
Il s’agissait pourtant de réaliser un peplum, un film de « mauvais genre » pour reprendre l’expression de Claude Aziza. Ramené à ses ambitions premières, le nouveau Ben-Hur n’a pas à rougir de sa prestation. Là où l’audace de William Wyler hissait son œuvre hors de sa catégorie, le sérieux de Timour Bekmambetov remplit le cahier des charges du film populaire, spectaculaire et moralisateur. Les 3h34, les dizaines de milliers de figurants, les années de tournage, les reconstitutions titanesques, la musique grandiose signée Miklos Rozsa, les itinéraires croisés de Ben-Hur et de Jésus Christ mais aussi une surprenante scène homo-érotique entre les deux héros, une violence inhabituelle pour un film grand public des années 1950 qui broyait les corps lors de la course de chars, le regard sans concession sur une civilisation ancienne qui excluait, par obscurantisme et cruauté, les lépreux… la démesure cinématographique, l’habileté scénaristique et les partis pris de William Wyler avaient amené son Ben-Hur à sortir des sentiers battus du peplum. Timour Bekmambetov accepte quant à lui plus modestement le jeu du genre. Le sujet est simple et bien connu du public. Les anachronismes nombreux et parfois originaux : les rameurs des galères romaines sont esclaves, Jérusalem est perchée au sommet d’une falaise et les Romains dépeints comme d’impitoyables oppresseurs faisant régner la terreur dans l’ensemble du bassin méditerranéen. L’histoire est édifiante, puisque Ben-Hur réussit à éteindre sa soif de vengeance et à renouer, dans le pardon, avec son frère Messala. Son goût pour le sacré est soigneusement souligné par de nouvelles focalisations sur la figure de Jésus Christ, désormais vue sous tous ses angles et dans toutes ses souffrances. On refuse cependant l’ultra-brutalité de la Passion du Christ de Mel Gibson. Le Christ saigne avec mesure, les lépreuses se terrent voilées et les conducteurs de chars ont la décence, pour mourir, de se cacher dans de brusques mouvements de caméra. Timour Bekmambetov tient même à honorer le principe de la réécriture peplumesque. L’objectif n’est pas de livrer une œuvre plus profonde mais de retravailler les mêmes scènes topiques avec toujours plus de moyens et d’originalité. La bataille navale est ainsi filmée de l’intérieur, comme la course poursuite de Drive (2011). La course de char est rythmée façon F1 et permet aux chevaux de s’échapper dans les tribunes…
Le Ben-Hur s’adapte aux canons cinématographiques comme il se plie aux souhaits de son temps. Par-delà sa qualité intrinsèque, il intéressera ainsi et surtout par sa capacité à exprimer les doutes américains du XXIe siècle. Comme les derniers blockbusters, il est la cible des critiques d’un pays qui se replie sur lui-même : il pècherait ainsi par son whitewashing, sa frilosité puritaine, sa mesquinerie idéologique, sa focalisation sur la seule sphère familiale… Il est surtout le fils d’un Hollywood qui croit trouver son salut dans l’amélioration technique des longs métrages qui ont fait sa grandeur dans les années 1950. Pompei, Exodus, Ben Hur et bientôt à venir Les Sept Mercenaires… la liste est longue des films que l’on cherche à retravailler pour masquer un manque d’innovation et d’audace intellectuelle.