Plutôt que sur le prologue pseudo-kazakh, c’est sur le périple étatsunien de Borat et sa satire de l’Amérique que les les critiques français se sont le plus extasiés : élevé ici et là au rang de "brûlot" ou de "machine de guerre", le film arborait fièrement sur ses affiches le qualificatif de "Bombe à fragmentation contre le politiquement correct".A cet émerveillement, on pourra objecter que les charges de Borat sont tout de même assez convenues, et ses cibles faciles : le nationalisme et le racisme des rednecks, l’hypocrisie de la bonne société du Middle West, les transes des chrétiens évangélistes (cette séquence religieuse nous rappelle d’ailleurs que s’il y a un point sur lequel Borat est remarquablement muet, c’est la religion de son personnage principal et de son pays d’origine…).Mais alors que le film ne prétend pas faire œuvre de sociologie (il ne prétend à proprement parler rien), les journalistes français ont voulu le prendre comme un témoignage sur les "travers" et "rituels" de l’Amérique ("ce qu’ils révèlent de leur pays fait frémir" dixit Télérama), l’un d’eux (Olivier Séguret dans Libération) allant même jusqu’à parler d’une "démonstration (…) irréfutable". Comme s’il nous plaisait de confondre la caricature et la réalité, de voir notre cousin américain en idiot du village (global) ; comme si l’on aimait à se faire peur avec le grand Satan yankee (Aurélien Ferenczi, Télérama : "Cette Amérique-là ne surprend plus, mais effraie toujours.").On pourra s’interroger sur les vertus d’un rire qui nous conforte dans nos stéréotypes éculés et notre bonne conscience. Ainsi, comment peut-on dire à propos du vendeur de voitures, comme plusieurs commentateurs l’ont fait, que son absence de réaction aux questions de Borat (est-ce un bon véhicule pour écraser les gitans ?), manifestait un "cynisme commercial" finalement très révélateur de la mentalité américaine ? Outre qu’on peut trouver des cons partout, c’est faire peu de cas de l’effet de sidération induit chez les filmés à la fois par le dispositif de tournage (qui ne s’est jamais trouvé très bête devant une caméra ou un micro ?) et par la singularité (c’est l’étymologie grecque du mot idiot) de leur interlocuteur. Dans Les idiots justement (1998), Lars Von Trier a montré toute la complexité et l’inconfort de notre position face à l’idiotie, retournant le malaise des personnages à la face du spectateur. C’est ce retournement que n’accomplit jamais Borat : le spectateur y reste toujours du bon côté, il peut exercer son ironie, son indignation ou son mépris sur les tarés et les salauds qu’on lui montre…