De l'autre côté et Import Export : trafics

De l'autre côté et Import Export : trafics

Lors du dernier festival on avait constaté à travers deux productions (Fast food nation et Babel) que les Etats-Unis s’intéressaient à leur frontière méridionale. Cette année, même si le lieu est présent chez les frères Coen (mais plutôt comme un des paramètres de leur brillante démonstration que comme enjeu politique), c’est plutôt l’Europe qui regarde vers ses marges ou ses "marches" : dans Import Export, Ulrich Seidl suit en parallèle les itinéraires d’une infirmière ukrainienne qui émigre à Vienne, et celui d’un jeune chômeur autrichien qui fait le trajet inverse. De l’autre côté (Auf den Anderen Seite) croise les destins d’une jeune activiste turque, obligée de fuir en Allemagne, et d’un universitaire allemand. Il n’y a pas que leur proximité géographique et linguistique qui rapprochent ces deux films. Chassé croisé de personnages (un homme, une femme, un "européen", une "étrangère") qui ne se croiseront jamais, De l’autre côté et Import/Export (les deux films pourraient échanger leur titre) sont obsédés par les échanges et circulations entre l’intérieur et l’extérieur de l’Union : marchandises, corps, sentiments… C’est Olga qui va prodiguer son affection aux vieillards autrichiens tandis que ses copines ukrainiennes restées au pays vendent leurs charmes par webcam interposée (dans une scène qui elle n’a rien de charmant) ; ce sont les cercueils d’une prostituée turque et d’une étudiante allemande qui se croisent sur le tarmac de l’aéroport d’Istanbul, suivis par les corps bien vivants et souffrants de leurs proches. Aux interrogations identitaires (déjà explorées dans Head-On, le précédent Fatih Akin) et à la construction narrative (sur le mode des rencontres manquées) du séduisant De l’autre côté, on avouera avoir préféré la radicalité de Import Export, radicalité qui aura indisposé nombre de festivaliers (lors de l’unique projection d’hier dans le Grand Théâtre Lumière, la salle se vidait à flot continu). Tel est le paradoxe de Cannes, que le film d’Ulrich Seidl souligne avec une violence inédite : au royaume de l’artifice et du superficiel, c’est dans les salles obscures qu’il faut aller pour se coltiner au réel. Eprouvant voyage en compagnie des damnés de la terre, Import Export passe en revue les endroits les plus sordides de l’Est de l’Europe. A la manière de son héroïne qui lave les draps des grabataires de l’Ouest, on peut dire que ce film n’hésite pas à mettre les mains dans la merde. Mais alors que tant de longs-métrages sont si prompts à nous désigner qui sont les bons et (surtout) qui sont les méchants en ce bas-monde (Mang Shan, La question humaine, Un cœur invaincu), Ulrich Seidl se garde bien de condamner un seul de ses personnages. Ses plans fixes superbement composés, la durée qu’il accorde aux scènes, son humour pince sans rire constituent une des propositions cinématographiques les plus fortes et les plus cohérentes de ce Festival. Et l’humanité qui émane de ses deux personnages (des "non professionnels" comme chez Bruno Dumont, qui retourneront sans doute à leur anonymat et à leur galère après cette parenthèse cinématographique) n’est pas près de se laisser oublier. De l’autre côté (Auf den anderen Seite) de Fatih Akin, Sélection Officielle Import Export d’Ulrich Seidl, Sélection Officielle (photo)

Lors du dernier festival on avait constaté à travers deux productions (Fast food nation et Babel) que les Etats-Unis s’intéressaient à leur frontière méridionale. Cette année, même si le lieu est présent chez les frères Coen (mais plutôt comme un des paramètres de leur brillante démonstration que comme enjeu politique), c’est plutôt l’Europe qui regarde vers ses marges ou ses "marches" : dans Import Export, Ulrich Seidl suit en parallèle les itinéraires d’une infirmière ukrainienne qui émigre à Vienne, et celui d’un jeune chômeur autrichien qui fait le trajet inverse. De l’autre côté (Auf den Anderen Seite) croise les destins d’une jeune activiste turque, obligée de fuir en Allemagne, et d’un universitaire allemand. Il n’y a pas que leur proximité géographique et linguistique qui rapprochent ces deux films. Chassé croisé de personnages (un homme, une femme, un "européen", une "étrangère") qui ne se croiseront jamais, De l’autre côté et Import/Export (les deux films pourraient échanger leur titre) sont obsédés par les échanges et circulations entre l’intérieur et l’extérieur de l’Union : marchandises, corps, sentiments… C’est Olga qui va prodiguer son affection aux vieillards autrichiens tandis que ses copines ukrainiennes restées au pays vendent leurs charmes par webcam interposée (dans une scène qui elle n’a rien de charmant) ; ce sont les cercueils d’une prostituée turque et d’une étudiante allemande qui se croisent sur le tarmac de l’aéroport d’Istanbul, suivis par les corps bien vivants et souffrants de leurs proches. Aux interrogations identitaires (déjà explorées dans Head-On, le précédent Fatih Akin) et à la construction narrative (sur le mode des rencontres manquées) du séduisant De l’autre côté, on avouera avoir préféré la radicalité de Import Export, radicalité qui aura indisposé nombre de festivaliers (lors de l’unique projection d’hier dans le Grand Théâtre Lumière, la salle se vidait à flot continu). Tel est le paradoxe de Cannes, que le film d’Ulrich Seidl souligne avec une violence inédite : au royaume de l’artifice et du superficiel, c’est dans les salles obscures qu’il faut aller pour se coltiner au réel. Eprouvant voyage en compagnie des damnés de la terre, Import Export passe en revue les endroits les plus sordides de l’Est de l’Europe. A la manière de son héroïne qui lave les draps des grabataires de l’Ouest, on peut dire que ce film n’hésite pas à mettre les mains dans la merde. Mais alors que tant de longs-métrages sont si prompts à nous désigner qui sont les bons et (surtout) qui sont les méchants en ce bas-monde (Mang Shan, La question humaine, Un cœur invaincu), Ulrich Seidl se garde bien de condamner un seul de ses personnages. Ses plans fixes superbement composés, la durée qu’il accorde aux scènes, son humour pince sans rire constituent une des propositions cinématographiques les plus fortes et les plus cohérentes de ce Festival. Et l’humanité qui émane de ses deux personnages (des "non professionnels" comme chez Bruno Dumont, qui retourneront sans doute à leur anonymat et à leur galère après cette parenthèse cinématographique) n’est pas près de se laisser oublier. De l’autre côté (Auf den anderen Seite) de Fatih Akin, Sélection Officielle Import Export d’Ulrich Seidl, Sélection Officielle (photo)