Homo homini lupus
Lors de la conférence de presse parisienne présentant la Sélection du Festival, Thierry Frémaux avait annoncé avec gourmandise ce film signé d'un auteur inconnu sous nos latitudes, Il avait au passage brocardé le cliché critique consistant à trouver un film à sketches… inégal. Composé de six segments indépendants et autant d'histoires courtes, Relatos salvajes est peut-être inégal, il n'en est pas moins d'une grande cohérence stylistique et surtout thématique, signe d'une véritable vision d'auteur.
Dans la tradition satirique du film de Dino Risi, Les Monstres (1963), qui s'attaquait aux travers de la société italienne, ces Nouveaux sauvages proposent la vision féroce d'une humanité dont la sauvagerie domestiquée (par les lois, les institutions, l'état) ne demande qu'à ressurgir à la moindre occasion. Le générique nous montre des photos d'animaux sauvages, parmi lesquels quelques redoutables prédateurs (lion, crocodile…) : autrement dit, la vie est une jungle, et l'homme un loup pour l'homme, selon l'adage de la philosophie hobbesienne. C'est dans les trois segments centraux que cette vision apparaît avec le plus de force. Ils mettent en scène des hommes de différents milieux (des classes populaires jusqu'à la très haute bourgeoisie), mais qui partagent la même absence de scrupule moral, de sens de l'intérêt général ou de la justice. À l'état de nature, loin de la civilisation, c'est la guerre de chacun contre chacun, qui conduit à l'anihilation totale (cf le sketch opposant deux automobilistes qui s'affronteront jusqu'à la mort). Mais à l'intérieur de la société, où les pulsions sont canalisées et ordonnées par des lois, l'individu n'a de cesse de se rebeller, d'échapper à la loi commune, de revendiquer son absolue liberté. Il n'est ainsi pas fortuit que ces trois histoires impliquent l'automobile, symbole de l'hyper-individualisme de la société de consommation…
On se sent soi-même un peu "sauvage" à rire à gorge déployée devant des situations aussi violentes ou outrées, comme si le film s'adressait directement, de manière viscérale, au cerveau reptilien du spectateur. C'est d'autant plus sensible au Festival de Cannes, quand une salle lasse de films exigeants et cérébraux se met à applaudir à la vision d'un homme qui défèque sur le pare-brise d'un autre.
Par ses qualités d'écriture et de mise en scène, son découpage en six courtes histoires qui permettent chacune d'amorcer une discussion en classe, ces Nouveaux sauvages pourront être étudiés avec grand profit en cours d'Espagnol ou de Philosophie (pour aborder les notions de justice, d'état et de droit).