Les gardiennes©Pathé Distribution

La Première Guerre Mondiale du point de vue des femmes (ou presque)

Critique
de Xavier Beauvois
134 minutes 2017

Sur le papier, le nouveau film de Xavier Beauvois avait tout d’un chef-d’œuvre : une histoire méconnue, celle des femmes pendant la Première Guerre Mondiale ; un ancrage dans le monde rural qui rappelait le très réussi Des hommes et des dieux ; et la présence derrière la caméra de Caroline Champetier, camarade de longue date de Beauvois et cheffe-opératrice hors-pair. Mais le miracle des Hommes et des dieux ne se reproduit pas. Bien sûr, il y a ces tableaux cinématographiques composés par Caroline Champetier, et cette lumière magique qu’elle parvient à capter. Il y a aussi cette révélation nommée Iris Bry, qui irradie l’écran pour sa première apparition au cinéma. Il y a enfin quelques fulgurances, comme ce plan sur des mains calleuses qu’un vieil homme tord de douleur. Mais là où Des hommes et des dieux sublimait les répétitions quotidiennes, célébrait l’absence de mots et trouvait de la spiritualité dans toutes choses, Les Gardiennes finit par susciter l’ennui.

La faute à un scénario qui emprunte des chemins trop attendus. Tout commence avec l’arrivée à la ferme du Paridier d’une jeune femme de l’assistance publique, Francine (Iris Bry), engagée par la matriarche, Hortense (Nathalie Baye), pour aider aux travaux de la ferme. Côté vie civile, l’orpheline pense avoir trouvé une famille, se rend – évidemment – essentielle aux autres femmes de la ferme, s’éprend – évidemment – d’un des fils de la famille lors du retour de celui-ci en permission, et tombe – évidemment – enceinte. Côté guerre, l’un des hommes du film meurt, le deuxième est fait prisonnier, et le troisième revient blessé. Rien dans le film ne permet de comprendre l’intérêt de cette énième déclinaison de schémas narratifs rebattus. D’autant que le scénario des Gardiennes souffre d’une deuxième grande tare : il nous conte paradoxalement une histoire de femmes dont les vrais héros sont les hommes. L’essentiel du film, consacré au quotidien des femmes restées à l’arrière, se résume à une succession sans fin de travaux agricoles (semer, récolter, fendre du bois, mener les bêtes…). À l’inverse, les retours des hommes pour quelques jours de permission sont l’occasion de bouleversements majeurs pour tous les personnages. Le récit ne progresse que lorsque les hommes sont présents, et pas une seule discussion entre les personnages féminins ne concerne autre chose que les hommes. Les femmes des Gardiennes sont des êtres passifs, qui ne vivent que pour et par leurs maris, fils, amants. Dans une récente interview au magazine Télérama, Xavier Beauvois se réjouissait d’avoir réalisé l’un des films « les plus féministes de l’année ». Peut-être faudra-t-il lui expliquer que mettre en scène des personnages féminins n’est pas suffisant.

Pour toutes ces raisons, l’exploitation pédagogique des Gardiennes paraît problématique. Trop long et extrêmement répétitif, le film semble difficile d'accès pour des élèves, même au lycée. On retiendra néanmoins quelques séquences qui traduisent avec justesse des thématiques abordées en cours d’histoire : une scène de moissons dans laquelle les femmes utilisent pour la première fois une moissonneuse-lieuse, mise en images des débuts de la mécanisation de l’agriculture ; le cauchemar d’un des fils de la famille, qui montre les traumatismes psychiques des soldats revenus de la guerre ; et la récitation d’un « poème » enfantin injurieux sur les « Boches », marqueur de la diabolisation d’un ennemi pourtant très proche.

Merci à Manel Ben Boubaker, professeure d’histoire, pour sa contribution à cet article