La visite de la fanfare : voyage sentimental

La visite de la fanfare : voyage sentimental

"Un jour, il n’y a pas très longtemps, arriva en Israël une fanfare de la police égyptienne. Peu s’en souviennent, car cette histoire semblait sans importance."La Visite de la fanfare est à l’image de cet incipit : sa modestie cache des trésors. Inspiré par le récit autobiographique d’un dramaturge égyptien perdu en Israël, le film d’Eran Kolirin est à la lettre un voyage sentimental (du titre du livre de Lawrence Sterne, 1768) : il met en scène des personnages qui, ne trouvant pas ce qu’ils cherchent, vont trouver ce qu’ils ne cherchaient pas. Les musiciens de la "Fanfare de Cérémonie la Police d’Alexandrie", sanglés dans leurs rutilants uniformes bleu turquoise, débarquent ainsi dans la ville de Bet Hahtikvah, alors qu’on les attend pour l’inauguration du centre culturel arabe à Petah Tikvah (dans son article du Monde le critique journaliste Mandelbaum fait une analyse politico-historique de ce quiproquo : "le passage d'une ville à l'autre est aussi celui de l'Etat d'Israël, passé d'une idée en devenir à une idée réalisée, d'un idéal pionnier et socialisant à une implantation stérile, esseulée…"). C’est l’occasion pour Eran Kolirin de mettre en scène une série de personnages hauts en couleurs, et d’exploiter tous les décalages induits par la situation.La Visite de la fanfare surprend et séduit parce qu’il montre israéliens et arabes (les personnages sont égyptiens, mais interprétés par des arabes israéliens) autrement que comme des ennemis irréductibles, mais au contraire partageant un terreau culturel commun (la musique arabe classique, le grand cinéma égyptien). Timidement, maladroitement, ils essayent de surmonter la barrière de la langue pour trouver un terrain d’entente (la musique en est un, tout trouvé) pour renouer les fils qui ont été coupés par les guerres successives, la litanie des attentats et des expéditions punitives.Le film en resterait toutefois au stade du manifeste unanimiste et un peu lénifiant s’il ne transcendait pas ses intentions par une mise en scène aussi maîtrisée qu’originale. Les premières scènes imposent un rythme et un regard (plans fixes et larges, cadres tirés au cordeau) qui tranchent avec l’ordinaire de la production actuelle. En mêlant un souvenir de mélo (l’influence du cinéma égyptien) et des touches de burlesque (le film rend un hommage évident à Jacques Tati) Eran Kolirin parvient à un équilibre très personnel, entre humour pince sans-rire et discrète mélancolie. Nous avons consacré au film un dossier pédagogique destiné aux enseignants de Lettres et d’Option Cinéma, qui explore plus en détail les thèmes abordés ici ("La poétique du dérisoire / Frontières / L’Histoire, présente/absente / De la confusion des langues… à la musique, langage universel / La mise en scène : entre burlesque... et mélancolie"…) téléchargeable sur le site pédagogique du film. On pourra également se reporter à l’interview d’Eran Kolirin par le site Vousnousils.fr, et au dossier-DVD (payant) édité par La Ligue de l’Enseignement (pour le lbenoit [at] laligue.org (commander)).

[La Visite de la fanfare d'Eran Kolirin. 2007. Durée : 1 h 26. Distribution : Sophie Dulac. Sortie le 19 décembre 2007]

"Un jour, il n’y a pas très longtemps, arriva en Israël une fanfare de la police égyptienne. Peu s’en souviennent, car cette histoire semblait sans importance."La Visite de la fanfare est à l’image de cet incipit : sa modestie cache des trésors. Inspiré par le récit autobiographique d’un dramaturge égyptien perdu en Israël, le film d’Eran Kolirin est à la lettre un voyage sentimental (du titre du livre de Lawrence Sterne, 1768) : il met en scène des personnages qui, ne trouvant pas ce qu’ils cherchent, vont trouver ce qu’ils ne cherchaient pas. Les musiciens de la "Fanfare de Cérémonie la Police d’Alexandrie", sanglés dans leurs rutilants uniformes bleu turquoise, débarquent ainsi dans la ville de Bet Hahtikvah, alors qu’on les attend pour l’inauguration du centre culturel arabe à Petah Tikvah (dans son article du Monde le critique journaliste Mandelbaum fait une analyse politico-historique de ce quiproquo : "le passage d'une ville à l'autre est aussi celui de l'Etat d'Israël, passé d'une idée en devenir à une idée réalisée, d'un idéal pionnier et socialisant à une implantation stérile, esseulée…"). C’est l’occasion pour Eran Kolirin de mettre en scène une série de personnages hauts en couleurs, et d’exploiter tous les décalages induits par la situation.La Visite de la fanfare surprend et séduit parce qu’il montre israéliens et arabes (les personnages sont égyptiens, mais interprétés par des arabes israéliens) autrement que comme des ennemis irréductibles, mais au contraire partageant un terreau culturel commun (la musique arabe classique, le grand cinéma égyptien). Timidement, maladroitement, ils essayent de surmonter la barrière de la langue pour trouver un terrain d’entente (la musique en est un, tout trouvé) pour renouer les fils qui ont été coupés par les guerres successives, la litanie des attentats et des expéditions punitives.Le film en resterait toutefois au stade du manifeste unanimiste et un peu lénifiant s’il ne transcendait pas ses intentions par une mise en scène aussi maîtrisée qu’originale. Les premières scènes imposent un rythme et un regard (plans fixes et larges, cadres tirés au cordeau) qui tranchent avec l’ordinaire de la production actuelle. En mêlant un souvenir de mélo (l’influence du cinéma égyptien) et des touches de burlesque (le film rend un hommage évident à Jacques Tati) Eran Kolirin parvient à un équilibre très personnel, entre humour pince sans-rire et discrète mélancolie. Nous avons consacré au film un dossier pédagogique destiné aux enseignants de Lettres et d’Option Cinéma, qui explore plus en détail les thèmes abordés ici ("La poétique du dérisoire / Frontières / L’Histoire, présente/absente / De la confusion des langues… à la musique, langage universel / La mise en scène : entre burlesque... et mélancolie"…) téléchargeable sur le site pédagogique du film. On pourra également se reporter à l’interview d’Eran Kolirin par le site Vousnousils.fr, et au dossier-DVD (payant) édité par La Ligue de l’Enseignement (pour le lbenoit [at] laligue.org (commander)).

[La Visite de la fanfare d'Eran Kolirin. 2007. Durée : 1 h 26. Distribution : Sophie Dulac. Sortie le 19 décembre 2007]