L'Autre Dumas : Du Pouilly au Graves

L'Autre Dumas : Du Pouilly au Graves

Lors de la première séquence du film, Dumas et son collaborateur Auguste Maquet se rendent par bateau en villégiature à Trouville, petit port de pêche, pour mettre la main à la version théâtrale du Comte de Monte Cristo et terminer Le Vicomte de Bragelonne. Tandis que Maquet rend tripes et boyaux, Dumas pense à son prochain déjeuner : "On commencera au Pouilly et on terminera au Graves".

Cette évocation œnologique est un peu la métaphore du film. Commencé sur un ton léger de vin de Loire, quand dans une auberge de campagne, Dumas lutine les servantes pendant que Maquet pisse de la copie (ou fait le mastic comme on disait autrefois en argot de presse), elle se termine sur le ton grave d'un vin de Bordeaux quand dans l'atmosphère désolée d'un chateau de Monte Cristo vidé par les huissiers, Dumas et Maquet reprennent leur collaboration par nécessité. Entre temps, trois temps forts jalonnent le film dont on rappellera brièvement l'argument (pour séduire une jeune fille Maquet se fait passer pour Dumas et échoue lamentablement) : la foire aux bestiaux de Trouville, le bal costumé donné par Dumas à Monte Cristo, la Révolution de 1848 vue à travers l'assaut donné à une prison parisienne dans laquelle sont enfermés des Républicains. Malgré leur effort, louable mais pas toujours réussi, de reconstitution historique, ce ne sont pas les meilleurs moments du film. Ceux-ci résident plutôt dans l'affrontement entre l'écrivain et son nègre, double, premier lecteur, miroir, comme le dit la maîtresse de Dumas, Céleste Scrivanek (admirable Dominique Blanc) ; dans la confrontation entre un Dumas-Depardieu (étonnamment sobre) et un Maquet-Poelevoorde, passé génialement du loufoque à l'hypocondrie. A l'issue de ce duel à armes inégales, Dumas accordera enfin à Maquet un statut de co-auteur et à défaut de joie de vivre, un brevet d'humour noir, "la politesse du désespoir" selon Maquet reprenenant une formule attribuée à Boris Vian (le film, mais ce n'est pas très grave, n'en est pas à un anachronisme près). Aujourd'hui, la postérité a tranché, Maquet est au Père-Lachaise et Dumas au Panthéon. Le spectateur, lui, aura passé un agréable moment avant de retourner à la lecture… de Dumas. Le site officiel propose un dossier d'accompagnement (dans l'Espace Enseignants) qui en quelques pages aborde les questions qui peuvent intéresser l'enseignant de Lettres : la question du "nègre" littéraire, indissociable des pratiques d'écriture quasi industrielles de Dumas ; la question du suspens et du roman-feuilleton ; enfin les rapports de Dumas (et Maquet) avec la Révolution de 1848.

[L'Autre Dumas de Safy Nebou. 2010. Durée : 1 h 45 . Distribution : UGC. Sortie le 10 février 2010]

Lors de la première séquence du film, Dumas et son collaborateur Auguste Maquet se rendent par bateau en villégiature à Trouville, petit port de pêche, pour mettre la main à la version théâtrale du Comte de Monte Cristo et terminer Le Vicomte de Bragelonne. Tandis que Maquet rend tripes et boyaux, Dumas pense à son prochain déjeuner : "On commencera au Pouilly et on terminera au Graves".

Cette évocation œnologique est un peu la métaphore du film. Commencé sur un ton léger de vin de Loire, quand dans une auberge de campagne, Dumas lutine les servantes pendant que Maquet pisse de la copie (ou fait le mastic comme on disait autrefois en argot de presse), elle se termine sur le ton grave d'un vin de Bordeaux quand dans l'atmosphère désolée d'un chateau de Monte Cristo vidé par les huissiers, Dumas et Maquet reprennent leur collaboration par nécessité. Entre temps, trois temps forts jalonnent le film dont on rappellera brièvement l'argument (pour séduire une jeune fille Maquet se fait passer pour Dumas et échoue lamentablement) : la foire aux bestiaux de Trouville, le bal costumé donné par Dumas à Monte Cristo, la Révolution de 1848 vue à travers l'assaut donné à une prison parisienne dans laquelle sont enfermés des Républicains. Malgré leur effort, louable mais pas toujours réussi, de reconstitution historique, ce ne sont pas les meilleurs moments du film. Ceux-ci résident plutôt dans l'affrontement entre l'écrivain et son nègre, double, premier lecteur, miroir, comme le dit la maîtresse de Dumas, Céleste Scrivanek (admirable Dominique Blanc) ; dans la confrontation entre un Dumas-Depardieu (étonnamment sobre) et un Maquet-Poelevoorde, passé génialement du loufoque à l'hypocondrie. A l'issue de ce duel à armes inégales, Dumas accordera enfin à Maquet un statut de co-auteur et à défaut de joie de vivre, un brevet d'humour noir, "la politesse du désespoir" selon Maquet reprenenant une formule attribuée à Boris Vian (le film, mais ce n'est pas très grave, n'en est pas à un anachronisme près). Aujourd'hui, la postérité a tranché, Maquet est au Père-Lachaise et Dumas au Panthéon. Le spectateur, lui, aura passé un agréable moment avant de retourner à la lecture… de Dumas. Le site officiel propose un dossier d'accompagnement (dans l'Espace Enseignants) qui en quelques pages aborde les questions qui peuvent intéresser l'enseignant de Lettres : la question du "nègre" littéraire, indissociable des pratiques d'écriture quasi industrielles de Dumas ; la question du suspens et du roman-feuilleton ; enfin les rapports de Dumas (et Maquet) avec la Révolution de 1848.

[L'Autre Dumas de Safy Nebou. 2010. Durée : 1 h 45 . Distribution : UGC. Sortie le 10 février 2010]