Le dernier roi d'Ecosse : Tintin en Ouganda
La tendance se confirme : Hollywood redécouvre l’Afrique et ses tragédies ; parfois pour le meilleur (Shootings dogs), généralement pour le moins bon (Lord of War, The Constant Gardener, Blood Diamond), et aujourd’hui peut-être pour le pire avec Le dernier roi d’Ecosse.Le point commun des films cités précédemment était la dénonciation des maux qui minent le continent, et de la part active qu’y prend ou a pris l’Occident : trafiquants d’armes ou de diamants, multinationales, gouvernements, il y avait toujours des Blancs pour tirer les ficelles en coulisse. Revers de la médaille, c’était aussi aux Blancs que revenait les rôles de héros rédempteurs. Didier Péron dans Libération brocardait ainsi Blood Diamond, "un film qui tend à mettre en valeur des Blancs intérieurement tiraillés par des conflits moraux au milieu d'une population noire qui, elle, se distribue sans nuance entre bourreaux et victimes".Pas de dénonciation ni d’héroïsme dans Le dernier roi d’Ecosse, dont le héros est un jeune médecin écossais fraîchement diplômé, qui part jeter sa gourme en Afrique avant de reprendre le cabinet de son père et sa (triste) routine. Par un concours de circonstance, il entre dans le cercle rapproché du nouveau président ougandais, le général Idi Amin Dada. Après avoir profité innocemment de l’amitié et des fastes du dictateur, il se retrouvera pris au piège.Le film ne se prive évidemment pas de dénoncer l’inconscience et l’égoïsme du jeune Nicolas Garrigan, héros parmi les moins sympathiques qu’il nous ait été donné de voir ces dernières années. Mais en même temps qu’il le dénonce, il épouse complaisamment son point de vue : l’Afrique n’est ici qu’un exotique terrain de jeux pour amateurs de sensations fortes, qu’elles soient horrifiques (la sauvagerie du dictateur ou de ses sbires) ou érotiques (la scène d’amour avec une beauté d’ébène, rythmée par force tam-tams).Le dernier roi d’Ecosse exhale ainsi une atmosphère un rien surannée de roman d’aventures coloniales, entre Les Mines du roi Salomon et Tintin au Congo, et véhicule les stéréotypes afférents. Rien ne nous sera vraiment dit et expliqué sur l’arrivée au pouvoir d’Idi Amin Dada, les soutiens qu’il a pu obtenir dans les pays occidentaux, sa position à part dans la diplomatie internationale (on renverra à la presse, qui est largement revenue sur l’histoire d’Amin Dada, voir en ligne ces dossiers de L’Express et de RFI et au fort agréable site officiel du film). La prise d’otages d’Entebbe, par exemple, n’est ici que la ficelle scénaristique qui permet à Garrigan d’échapper à l’emprise du dictateur. Le héros blanc est sauf, on peut laisser les noirs crever entre eux.Le vrai sujet du film est évidemment la personnalité d’Idi Amin Dada, mélange de bouffonnerie et de cruauté, de cynisme et de naïveté (atteint de flatulences, il pense avoir été empoisonné) ; grand enfant amateur de breloques, adorant regarder des dessins animés ou faire joujou avec son médecin écossais, mais capable d’écraser ses opposants comme des insectes. Ses foucades, drôles ou terrifiantes, avaient fasciné Barbet Schroeder, auteur d'un documentaire-choc en 1974, Général Idi Amin Dada ; elle sont le prétexte ici à un numéro d’acteur qui constitue le principal argument marketing du film, et pourrait valoir un Oscar à Forrest Whitaker. Les critiques (absence totale de distance, fascination morbide, racisme latent) adressées à l'époque au documentaire de Schroeder pourront d'ailleurs s’appliquer quasi mot pour mot au film de Kevin MacDonald.Au portrait d’une humanité africaine scindée entre bourreaux sanguinaires et victimes apathiques (Lord of War, Blood Diamond, Le dernier roi d’Ecosse), on préférera pour notre page d’autres images moins bariolées et moins vendeuses, mais plus justes : la dignité des plaideurs de Bamako, l’énergie militante des Sisters in law, les questionnements du couple père-fils de Daratt…
[Le Dernier roi d'Ecosse de Kevin MacDonald. 2005. Durée : 2 h 05 mn. Distribution : Twentieth Century Fox France. Sortie le 14 février 2007]