Le Ruban blanc : le village des damnés
Malgré sa facture classique de film en costumes, son rythme et son atmosphère paisibles, le noir et blanc qui lui confère un charme suranné, le nouveau film de Michael Haneke est parcouru de bout en bout par une tension permanente qui confine à l'hallucinatoire.Le Ruban blanc est d'abord un film historique, qui lorgne du côté des Damnés de Visconti (1969), par la peinture réaliste d'un village allemand en 1913, par sa mise en scène d'une rigide hiérarchie sociale : du sommet (un baron quasi féodal mais aussi "éclairé") jusqu'à la base de la pyramide (la masse soumise des paysans), en passant par les corps intermédiaires bourgeois (régisseur, pasteur, médecin instituteur). A travers la figure d'un fils de paysan qui se rebelle contre une aristocratie en fin de course, Michael Haneke montre l'émergence de la lutte des classes. Mais il dénonce aussi et surtout l'incapacité des figures tutélaires, morale (le pasteur) comme scientifique (le médecin) à éduquer l'humain à l'humain. Le film appuie particulièrement sur la présence abusive des pères, corrolaire de l'absence des mères, (mortes —peut-être asassinée—, délaissées ou bafouées). Le tableau est d'une précision sans fioritures, qui confine parfois à la froideur ; mais derrière cette transparence, surgit le fantastique.Car Le Ruban blanc évoque aussi Le Village des damnés (1960), ce film de science-fiction britannique, qui montrait l'éclosion surnaturelle d'une terrifiante colonie de petits blonds aux yeux bleus. A l'inverse de certains des films précédents de Haneke, la terreur reste toujours ici "cachée" : la mort voilée d'une mère, l'inceste déguisé en perçage d'oreille, des coups de verge derrière une porte. Si le film cherche à deviner les sources du fascisme à travers ces enfants (les futurs adultes de l'Allemagne nazie), pervers polymorphes, dont la rigueur protestante fait croître la cruauté, il suggère un monde sans amour ni innocence, perverti par la conscience d'une mort inéluctable, un monde où trop de Dieu tue l'idée même de sacré, où un enfant peut vouloir se suicider, où des enfants peuvent en torturer d'autres.Le titre qui renvoie au signe de l'innocence, montre que le seul à deviner l'horreur, l'instituteur, voix-off crépusculaire, est voué au silence par le pasteur, qui dans sa sévérité à châtier le Mal s'aveugle sur ses enfants. Mais l'instituteur deviendra tailleur après la première Guerre Mondiale, abdiquant son pouvoir d'éducation.On sort de ce film littéralement hanté, parce qu'en retraçant une époque, il distille une atmosphère de cauchemar.
Le Ruban blanc de Michael Haneke, Autriche, 2009, Sélection Officielle