L'Echange : le cauchemar américain
Le dernier film de Clint Eastwood, L’Echange, retourne aux sources premières du roman noir américain, auquel James Ellroy a donné ses lettres de noblesse, inspirant une longue série d’écrivains, dont l’auteur de Mystic River, Dennis Lehane.D’une noirceur sans égale, l’argument de L’Echange s’inspire d’un fait divers qui nous replonge dans le Los Angeles des années 30. Une mère célibataire, Christine Collins (Angelina Jolie) dont le petit garçon, Walter, a disparu, ne reconnaît pas son fils sous les traits de l’enfant qu'une police corrompue et en quête de bonne presse lui a rendu. Il y a deux films dans L'Echange C’est tout d’abord le très (trop) classique combat d’une mère qui reprend le schéma épique du héros seul contre tous (l’institution psychiatrique, les services de police). Mère bafouée, victime torturée, femme humiliée (sans oublier la douleur atroce de la perte de son enfant) Christine Collins ne défaillera jamais, résistera, et mènera les bourreaux de la société civile jusque devant les tribunaux. Entre Vol au dessus d’un nid de coucou et les Incorruptibles, ce film-là repose sur un épique parfois lourd à digérer (le petit sourire triomphal d’Angelina qui revient à l’hôpital et fait face à la méchante infirmière), qui cherche (et parvient) à provoquer la pitié et l’indignation du spectateur, avant de satisfaire son inévitable désir de vengeance.Et puis il y a un "film cauchemar" qui rappelle Mystic River. Le ranch "no man’s land", cimetière d'enfants, évoque par les sombres flash-backs la demeure de l’ogre de nos peurs enfantines. Les cris d’enfants insoutenables, les gros plans sur les outils du monstre génèrent une angoisse sans pareille. Lorsque ces deux films se rencontrent, l’émotion est sûrement à son comble. Mais après ? Certes, le film d’Eastwood se veut un film sur la paternité, désespérément absente, depuis le père de Walter qui a déserté, jusqu’aux services de police ou médecins, incarnant le Sur-moi collectif, qui se montrent odieux, ridicules, incompétents. Le film dénonce ces pères défaillants, alors que les mères et les femmes en général portent les vraies valeurs de l’Amérique : ténacité, dignité et optimisme…La démonstration vaut ce qu’elle vaut, mais le tribut émotionnel est lourd à payer. La figure, toujours efficace en termes d’émotion et de spectacle, du tueur d’enfants, dispense le réalisateur d'une vraie réflexion sur le mal.
L'Echange de Clint Eastwood, 141 mn, Etats-UnisSélection Officielle, en compétition