Les amours d'Astrée et Céladon : arguties bergères

Les amours d'Astrée et Céladon : arguties bergères

Entre Balzac (Ne touchez pas la hache) et Barbey d’Aurevilly (Une vieille maîtresse), Molière et La Fontaine on sait que notre patrimoine littéraire a actuellement les faveurs des cinéastes français. Mais pour exhumer L’Astrée d’Honoré d’Urfé, roman précieux du début du XVIIème siècle, plus souvent cité (pour avoir inspiré l’expression classique des sentiments chez un Corneille ou un Racine) que lu, il fallait bien notre Eric Rohmer national. On pourrait dire qu’en portant à l’écran le style précieux et maniériste de d’Urfé, le réalisateur du Genou de Claire revient aux sources de sa propre inspiration : ces bavardages artificiels sur le sentiment amoureux, cette naïveté revendiquée de la forme, ne sont pas sans rappeler, costumes d'époque en plus, la fameuse série des Contes (moraux, des quatre saisons) ou les Comédies et proverbes.De vertes prairies en fûtaies ombragées, de châteaux Renaissance en berges fleuries, la pastorale d’Eric Rohmer nous conte donc les amours contrariées (par eux-mêmes le plus souvent) d’un joli pâtre (Céladon) et d’une charmante bergère (Astrée).On mettra en tout cas au crédit de cet ovni filmique son absolu décalage avec la production cinématographique actuelle, et on reconnaîtra à tout le moins ses qualités littéraires. L’enseignant, qu’il soit sincèrement passionné par la problématique de l'adaptation cinématographique du roman précieux, ou cherche à créer en cette rentrée un choc psychologique chez ses élèves, pourra y trouver quelques os à ronger :— L’art de la "dissert" : la "battle" entre Lycidas, champion de la constance défendant une conception de l’amour toute platonicienne et Hylas, chantre de l’inconstance et de l’amour sensuel, est un bréviaire où chacun puisera non seulement matière à disserter, mais l’art et la manière.— La lecture de l’image : entre Ekphrasis ("description d’une œuvre d’art") et critique, le film ne cesse de commenter, à travers la pédagogique voix du druide, diverses représentations de l’amour, comme le jugement de Pâris.— L’étude des mouvements littéraires : le druide (l’action se situe au Vème Siècle après Jésus-Christ) trouve des accents presque cartésiens pour initier Céladon aux mystères du monothéisme, tandis que le travestissement de Céladon en fille renvoie aux mécanismes usuels de la comédie baroque (cf La Nuit des rois de Shakespeare).Qu'en tous cas ceux qui à travers l'adaptation d'Eric Rohmer se seront découverts fans de L'Astrée se réjouissent : le 400ème anniversaire de la parution de la première partie devrait donner lieu à de multiples publications, dont une édition critique intégrale, sur papier et en ligne (voir également cette interview de la spécialiste Delphine Denis par le journal Libération et de Jean-Marc Chatelain par Le Monde). Les autres se diront qu'ils auront enrichi à bon compte (1h50 de film contre 5000 pages de roman) leur culture générale.

[Les amours d'Astrée et Céladon d'Eric Rohmer. 2006. Durée : 1 h 49. Distribution : Rezofilms. Sortie le 5 septembre 2007]

Entre Balzac (Ne touchez pas la hache) et Barbey d’Aurevilly (Une vieille maîtresse), Molière et La Fontaine on sait que notre patrimoine littéraire a actuellement les faveurs des cinéastes français. Mais pour exhumer L’Astrée d’Honoré d’Urfé, roman précieux du début du XVIIème siècle, plus souvent cité (pour avoir inspiré l’expression classique des sentiments chez un Corneille ou un Racine) que lu, il fallait bien notre Eric Rohmer national. On pourrait dire qu’en portant à l’écran le style précieux et maniériste de d’Urfé, le réalisateur du Genou de Claire revient aux sources de sa propre inspiration : ces bavardages artificiels sur le sentiment amoureux, cette naïveté revendiquée de la forme, ne sont pas sans rappeler, costumes d'époque en plus, la fameuse série des Contes (moraux, des quatre saisons) ou les Comédies et proverbes.De vertes prairies en fûtaies ombragées, de châteaux Renaissance en berges fleuries, la pastorale d’Eric Rohmer nous conte donc les amours contrariées (par eux-mêmes le plus souvent) d’un joli pâtre (Céladon) et d’une charmante bergère (Astrée).On mettra en tout cas au crédit de cet ovni filmique son absolu décalage avec la production cinématographique actuelle, et on reconnaîtra à tout le moins ses qualités littéraires. L’enseignant, qu’il soit sincèrement passionné par la problématique de l'adaptation cinématographique du roman précieux, ou cherche à créer en cette rentrée un choc psychologique chez ses élèves, pourra y trouver quelques os à ronger :— L’art de la "dissert" : la "battle" entre Lycidas, champion de la constance défendant une conception de l’amour toute platonicienne et Hylas, chantre de l’inconstance et de l’amour sensuel, est un bréviaire où chacun puisera non seulement matière à disserter, mais l’art et la manière.— La lecture de l’image : entre Ekphrasis ("description d’une œuvre d’art") et critique, le film ne cesse de commenter, à travers la pédagogique voix du druide, diverses représentations de l’amour, comme le jugement de Pâris.— L’étude des mouvements littéraires : le druide (l’action se situe au Vème Siècle après Jésus-Christ) trouve des accents presque cartésiens pour initier Céladon aux mystères du monothéisme, tandis que le travestissement de Céladon en fille renvoie aux mécanismes usuels de la comédie baroque (cf La Nuit des rois de Shakespeare).Qu'en tous cas ceux qui à travers l'adaptation d'Eric Rohmer se seront découverts fans de L'Astrée se réjouissent : le 400ème anniversaire de la parution de la première partie devrait donner lieu à de multiples publications, dont une édition critique intégrale, sur papier et en ligne (voir également cette interview de la spécialiste Delphine Denis par le journal Libération et de Jean-Marc Chatelain par Le Monde). Les autres se diront qu'ils auront enrichi à bon compte (1h50 de film contre 5000 pages de roman) leur culture générale.

[Les amours d'Astrée et Céladon d'Eric Rohmer. 2006. Durée : 1 h 49. Distribution : Rezofilms. Sortie le 5 septembre 2007]