Les Chats persans : no future
Plébiscité dans les festivals internationaux depuis sa découverte à la fin des années 80 (avec la consécration de 1997 et la Palme d’or remportée par Abbas Kariostami), le cinéma iranien a paradoxalement retourné en marque distinctive les contraintes que lui imposait la sourcilleuse censure islamique : une capacité subtile à exprimer un discours critique à travers la peinture du quotidien, un talent pour la parabole l’élaboration symbolique. C’est dire ce qui frappe dans Les Chats persans du réalisateur Bahman Ghobadi (Un temps pour l’ivresse des chevaux, Les tortues volent aussi) film qui tourne totalement le dos au système officiel (tourné dans la plus totale clandestinité, il a valu à son réalisateur un exil qui s’annonce durable) : la frontalité du constat sur la désespérance de la jeunesse, l’urgence et la rage d’appeler un chat… un chat… Le début des Chats persans, en forme de mise en abyme, pose ainsi le décor : las d’attendre des autorisations de tournage qui ne viendront jamais, un metteur en scène réputé, Bahman Ghobadi, décide de tourner un documentaire sur la musique underground (au sens premier du mot : jouée clandestinement dans des caves). Il va rencontrer deux jeunes musiciens, Negar et Ashkan, qui eux-mêmes ont décidé, de guerre lasse, de quitter le pays pour aller tenter leur chance à l’étranger. A mi-chemin entre fiction et documentaire, le film se présente comme une fuite en avant : quelques jours pour monter un groupe, se procurer visas et passeports, peut-être organiser un concert d’adieu ; le prétexte à une exploration du Téhéran d’aujourd’hui et à un kaléidoscope musical d’une étonnante diversité (de l’indie-rock au rap : le seul point commun de ces groupes est d'être interdits). Si la structure narrative est relativement lâche et si les nombreux moments musicaux (clips forcément rudimentaires) pourront lasser, le film donne comme rarement au cinéma l’impression de se confronter au réel d’une société ; la tension vécue par les protagonistes est celle même du tournage, réalisé au nez et à la barbe de la police. Quelques mois après le soulèvement post-élections de la jeunesse iranienne, vécu avec empathie mais de loin par les opinions occidentales, Les Chats persans apporte de nombreuses clés de lecture de la société téhéranaise d’aujourd’hui : dichotomie entre l’espace privé, celui d’une relative permissivité et d’une ouverture au monde (Dvd et CD qui circulent sous le manteau, internet) et l’espace public soigneusement contrôlé par les polices du régime ; culture de l’arbitraire et du passe-droit, les lois islamiques étant soumises à l’interprétation fluctuante des agents de l’état ; désespérance d’une jeunesse aux horizons sociaux et culturels bouchés. Si le film est parsemé de nombreuses notes d’humour (personnage du faussaire cinéphile, la répétition dans l’étable), c’est un humour un peu désespéré qui rappelle celui qui avait cours dans les dictatures communistes (cf le film collectif roumain Contes de l’âge d’or qui sort la semaine suivante). Et au-delà de la beauté et de l’énergie de ses jeunes héros, le film a tôt de nous rappeler l’impasse tragique dans laquelle se trouve leur génération. [Les Chats persans de Bahman Ghobadi. 2009. Durée : 1 H 41. Distribution : Mars films. Sortie le 23 décembre 2009]