Les Neiges du Kilimandjaro

Les Neiges du Kilimandjaro

"Dans quel monde on vit ?" se demande Marie-Claire (Ariane Ascaride). Elle est aide ménagère, son mari Michel (Jean-Pierre Darroussin) est ouvrier sur les chantiers navals. Il vient d'être victime d'un licenciement économique, refusant la protection que lui offrait son statut de syndicaliste. Les temps sont durs, mais la vie continue : il y a les enfants et les petits enfants, les amis, les camarades, qui leur offrent un beau voyage pour leur anniversaire de mariage. Il y a aussi et surtout la certitude d'avoir vécu sa vie en accord avec ses principes : comme le dit avec lyrisme le dossier de presse, "leurs consciences sont aussi transparentes que leurs regards". Tout s'écroule quand ils sont violemment agressés par des malfrats à leur domicile, qui leur dérobent le maigre butin cotisé par leurs amis ; mais surtout quand ils comprennent que c'est un camarade qui a fait le coup : un jeune ouvrier licencié en même temps que Michel, et qu'ils avaient invité à anniversaire de mariage. Cet acte violent va profondément bousculer leurs valeurs, et les pousser à remettre en cause leurs certitudes.

"Dans quel monde on vit ?" s'interroge le cinéaste Robert Guédiguian, qui revient (après un polar et un film historique, L'Armée du crime) aux racines géographiques, humaines et politiques, de son cinéma. Et la réponse que propose Les Neiges du Kilimandjaro n'est pas des plus joyeuses : décrépitude du monde ouvrier, délitement des vieiles solidarités, évaporation de toute conscience de classe au profit de l'individualisme et de la guerre de tous contre tous, qui est souvent celle des pauvres contre les un peu moins pauvres qu'eux. Si le plaisir de filmer les choses simples et des petites gens est toujours là (Guédiguian filme comme personne les scènes les plus quotidiennes, comme un barbecue entre amis), il est contrebalancé par l'âpreté des tirades que les "mauvais pauvres" (l'ouvrier braqueur, Grégoire Leprince-Ringuet, la mère indigne, extraordinaire Karole Rocher) balancent à la gueule de ces working-class heroes endormis sur leurs certitudes et un (relatif) embourgeoisement matériel. Quand le cégétiste et meilleur ami de Michel, joué par Gérard Meylan, se met à discourir avec haine sur la peine à infliger au braqueur qui les a violentés, on se dit que le cinéma de Guédiguian est en train de prendre la mesure de la France contemporaine : celle où les sondages nous promettent un candidat du Front national à 20 % tandis où le Parti Communiste s'apprête à renoncer à présenter le sien. Las ! La communauté idéale de l'Estaque (incarnée par les éternels compagnons de route du réalisateur : Ascaride, Darroussin, Meylan, Canto) se reconstituera envers et contre tout, et la bonté de nos sympathiques communistes éclairera à nouveau les ténèbres. Dans un final étonnant de naïveté et de maladresse, Robert Guédiguian ouvre à fond le robinet des bons sentiments, et annule purement et simplement le constat désabusé que le film vient de dresser. On pourra s'attendrir sur la fidélité et la constance du réalisateur marseillais, se réjouir qu'il y ait encore des fictions de gauche, et des films qui citent encore Hugo (Les Pauvres gens, qui a inspiré le film) et Jean Jaurès, etc. On pourra également préférer des films qui nous montrent le monde tel qu'il est, et non repeint aux couleurs délavées de l'utopie socialiste…

Les Neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian, France, 107 mn, Un certain regard

"Dans quel monde on vit ?" se demande Marie-Claire (Ariane Ascaride). Elle est aide ménagère, son mari Michel (Jean-Pierre Darroussin) est ouvrier sur les chantiers navals. Il vient d'être victime d'un licenciement économique, refusant la protection que lui offrait son statut de syndicaliste. Les temps sont durs, mais la vie continue : il y a les enfants et les petits enfants, les amis, les camarades, qui leur offrent un beau voyage pour leur anniversaire de mariage. Il y a aussi et surtout la certitude d'avoir vécu sa vie en accord avec ses principes : comme le dit avec lyrisme le dossier de presse, "leurs consciences sont aussi transparentes que leurs regards". Tout s'écroule quand ils sont violemment agressés par des malfrats à leur domicile, qui leur dérobent le maigre butin cotisé par leurs amis ; mais surtout quand ils comprennent que c'est un camarade qui a fait le coup : un jeune ouvrier licencié en même temps que Michel, et qu'ils avaient invité à anniversaire de mariage. Cet acte violent va profondément bousculer leurs valeurs, et les pousser à remettre en cause leurs certitudes.

"Dans quel monde on vit ?" s'interroge le cinéaste Robert Guédiguian, qui revient (après un polar et un film historique, L'Armée du crime) aux racines géographiques, humaines et politiques, de son cinéma. Et la réponse que propose Les Neiges du Kilimandjaro n'est pas des plus joyeuses : décrépitude du monde ouvrier, délitement des vieiles solidarités, évaporation de toute conscience de classe au profit de l'individualisme et de la guerre de tous contre tous, qui est souvent celle des pauvres contre les un peu moins pauvres qu'eux. Si le plaisir de filmer les choses simples et des petites gens est toujours là (Guédiguian filme comme personne les scènes les plus quotidiennes, comme un barbecue entre amis), il est contrebalancé par l'âpreté des tirades que les "mauvais pauvres" (l'ouvrier braqueur, Grégoire Leprince-Ringuet, la mère indigne, extraordinaire Karole Rocher) balancent à la gueule de ces working-class heroes endormis sur leurs certitudes et un (relatif) embourgeoisement matériel. Quand le cégétiste et meilleur ami de Michel, joué par Gérard Meylan, se met à discourir avec haine sur la peine à infliger au braqueur qui les a violentés, on se dit que le cinéma de Guédiguian est en train de prendre la mesure de la France contemporaine : celle où les sondages nous promettent un candidat du Front national à 20 % tandis où le Parti Communiste s'apprête à renoncer à présenter le sien. Las ! La communauté idéale de l'Estaque (incarnée par les éternels compagnons de route du réalisateur : Ascaride, Darroussin, Meylan, Canto) se reconstituera envers et contre tout, et la bonté de nos sympathiques communistes éclairera à nouveau les ténèbres. Dans un final étonnant de naïveté et de maladresse, Robert Guédiguian ouvre à fond le robinet des bons sentiments, et annule purement et simplement le constat désabusé que le film vient de dresser. On pourra s'attendrir sur la fidélité et la constance du réalisateur marseillais, se réjouir qu'il y ait encore des fictions de gauche, et des films qui citent encore Hugo (Les Pauvres gens, qui a inspiré le film) et Jean Jaurès, etc. On pourra également préférer des films qui nous montrent le monde tel qu'il est, et non repeint aux couleurs délavées de l'utopie socialiste…

Les Neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian, France, 107 mn, Un certain regard