Comme les précédents films de Tony Gatlif, Liberté est une œuvre éminemment musicale. Dès les premières images, tel un air libre et aérien, les Tsiganes qui traversent la campagne bourguignonne apparaissent tout à coup, venant d’on ne sait où, dans des roulottes qui transportent famille, chien et objets et vont repartir de ci de là. Une impression de légèreté, d’espace et de joie marque l’ensemble des images, malgré le drame qui se noue.
C’est un tour de force, car le film traite, pour la première fois en France, d’un sujet hautement tragique : le sort des Tsiganes durant la Seconde guerre mondiale. Une famille venue dans un village pour faire les vendanges y subit le sort de milliers de Tsiganes français : contrôle, sédentarisation, internement… Liberté montre l’enchaînement insidieux de ces mesures liberticides, dont il est visible qu’elles trouvent leurs racines bien avant guerre : conformément à la loi de 1912, les Tsiganes de plus de treize ans présentent dès leur arrivée dans la commune bourguignonne leur carnet anthropométrique d’identité, et un carnet collectif attribué aux nomades voyageant « en bande » (c’est-à-dire en groupe ou en famille). Les trois roulottes du groupe de Tsiganes portent quant à elles une plaque de contrôle spécial. Avec les circulaires de 1920, 1926 et 1928, la République française mène une politique de sédentarisation des nomades, population dont l’itinérance est alors assimilée à la délinquance et à la criminalité, et que l’on cherche à forcer à "travailler" ; jusqu’au décret du 6 avril 1940, qui interdit purement et simplement la circulation des nomades, et ce pour toute la durée de la guerre (aux stéréotypes antérieurs s’ajoutant en effet la crainte de l’espionnage). Les quelques Tsiganes qui ne sont pas encore sédentarisés (on estime leur nombre à 40 000 dans les années 1920), faute de pouvoir s’installer dans des communes qui rechignent à les accueillir durablement, continuent alors à voyager dans l’illégalité, à la merci des autorités : punissant le nomadisme de 1 à 5 ans d’emprisonnement, le régime de Vichy dresse une trentaine de camps d’internement dans toute la France pour rassembler les familles tsiganes. Dans une des scènes les plus poignantes du film, on y voit quelques-uns des 6 500 internés dépérir, sous la garde de la gendarmerie française, dans ces enclos insalubres ; le long et sobre travelling sur les visages désolés et les corps épuisés derrière les barbelas, donne corps à ce drame dont il ne reste aujourd'hui que quelques photos et de rarissimes témoignages. C’est, avec la mise en scène toujours inspirée de la troupe de Tsiganes, au premier rang desquels l’étonnant James Thierrée (qui joue Taloche) le meilleur de Liberté : la partie consacrée à la description d’un petit village bourguignon sous l’Occupation (et de ses réactions face à l'arrivée des Tsiganes) pêche elle par une certaine naïveté, avec ses "Justes" forcément héroïques (Marc Lavoine en maire du village, Marie-Josée Croze en institutrice résistante), et ses collabos naturellement abjects (Carlo Brandt en milicien)… Malgré cette réserve, le film, aisément abordable dès le collège, a un double mérite pour les enseignants : — illustrer, conformément aux programmes, le génocide des Tziganes (on différenciera la politique d’internement vichyste, de la politique d’extermination systématique menée en Allemagne et dans les territoires directement administrés par les nazis) — et permettre d’aborder en classe l’histoire et la culture d’un peuple qui est encore aujourd’hui l’objet de la méfiance et de la stigmatisation… [Liberté de Tony Gatlif. 2009. Durée : 1 h 51. Distribution : UGC. Sortie le 24 février 2010]