L'Usine des films amateurs : l'utopie de Michel Gondry

L'Usine des films amateurs : l'utopie de Michel Gondry

Qu'est-ce qui peut pousser un des cinéastes les plus courtisés du moment (il vient de sortir The Green hornet, blockbuster de superhéros) à passer plusieurs mois de sa vie à faire tourner à des groupes d'amateurs des films que personne (sinon eux) ne verra jamais, pour la seule beauté du geste et — surtout — la rigolade des participants ? Célébré par le Centre Pompidou qui lui a consacré une rétrospective quasi exhaustive (courts-métrages, clips, pubs, et tous ses longs-métrages), et lui a offert une "carte blanche", Michel Gondry, le réalisateur de Eternal sunshine of the spotless mind ou La Science des rêves, y a surtout vu l'occasion de donner corps à son vieux rêve d'"Usine de films amateurs" : un mini-studio de cinéma avec ses décors (rue, forêt, café, terrain vague…) où des groupes de huit à seize personnes viennent bricoler en trois heures montre en main un petit film selon la technique du tourné-monté.  Un système régi par un protocole assez strict mais dont le seul but est de "permettre à tous de participer et de s'amuser équitablement" : chaque décision est prise à la majorité, chacun doit apparaître au moins une fois dans le film, un seul dvd est distribué à la fin afin que les participants gardent contact, etc.

Au moment de la sortie de Soyez sympas, rembobinez (Be kind rewind), on avait pu penser à un gimmick comique (les films "suédés" par les compères Jack Black et Mos Def), d'ailleurs rapidement récupéré par un marketing malin ("toi aussi réalise ton film suédé…") : mais cette idée de films fabriqués en groupe avec les moyens du bord (dans Be kind rewind c'est tout un quartier qui se lance dans un biopic de la célébrité locale, le jazzman Fats Waller) est un vieux rêve de Michel Gondry ; un rêve qui s'est précisé et structuré au fil des années, avant que la notoriété acquise sur les plateaux de cinéma ne lui permette d'en lancer la concrétisation. Le réalisateur raconte longuement cette genèse dans le programme de l'Usine : dans ce (très beau) texte, ce rêveur que l'on imaginait solitaire s'y révèle obsédé par l'idée de communauté, "la notion d'appartenance, la chaleur, le groupe, la protection". Il y décrit comment sa réflexion sur le fonctionnement ultra-hiérarchisé d'un plateau de cinéma ou le caractère socialement exclusif des milieux artistiques, l'ont conduit à imaginer cette utopie d'un "système auto-suffisant permettant à un groupe de produire son propre divertissement"…

Du fait de ses origines versaillaises et son exil américain, son parcours brillant dans l'industrie musicale puis cinématographique, son univers poétique et farfelu, Michel Gondry a tout sauf l'image d'un réalisateur engagé. En sortant de l'Usine des films amateurs, qui bruisse depuis plus d'un mois d'une concentration silencieuse et de bruyants éclats de rire, on a pourtant le sentiment d'avoir assisté à l'un des projets de cinéma les plus authentiquement politiques du moment : tant les valeurs qu'il met concrètement en œuvre (la gratuité —à tous les sens du terme—, l'autogestion, la mixité sociale) sont aux antipodes de celles qui dominent nos sociétés actuelles (mercantilisme, consumérisme, individualisme, etc.).

Les enseignants et éducateurs pourront se récrier devant certains aspects du projet, comme sa dimension hédoniste (il s'agit avant tout de prendre du plaisir ensemble) et son corrolaire, son absence revendiquée de prétention pédagogique (on n'est pas là pour apprendre à faire du cinéma). Mais il y a sans doute beaucoup d'idées à puiser dans ce protocole, d'ailleurs déjà testé par Gondry en live en banlieue parisienne : le choix d'un genre et d'un titre comme déclencheur (ils permettent de délier les langues et de libérer les imaginaires), la grille de scénario simple et efficace, le principe de tourner-monter sans jamais revenir en arrière ("la perfection est votre ennemie !" dixit Gondry), la contrainte du temps et la "carotte" de la projection finale, et surtout ce fonctionnement démocratique qui permet à chacun de prendre du plaisir et d'exprimer sa créativité…

L'Usine des films amateurs, jusqu'au 28 mars au Centre Pompidou (prolongations ou reprise éventuelle, se renseigner auprès du Centre)

Pour aller plus loin : > Michel Gondry interviewé par Michel Ciment (Projection privée sur France Culture) > Soyez sympa, rembobinez sur Zérodeconduite.net > Entretien avec Michel Gondry

Qu'est-ce qui peut pousser un des cinéastes les plus courtisés du moment (il vient de sortir The Green hornet, blockbuster de superhéros) à passer plusieurs mois de sa vie à faire tourner à des groupes d'amateurs des films que personne (sinon eux) ne verra jamais, pour la seule beauté du geste et — surtout — la rigolade des participants ? Célébré par le Centre Pompidou qui lui a consacré une rétrospective quasi exhaustive (courts-métrages, clips, pubs, et tous ses longs-métrages), et lui a offert une "carte blanche", Michel Gondry, le réalisateur de Eternal sunshine of the spotless mind ou La Science des rêves, y a surtout vu l'occasion de donner corps à son vieux rêve d'"Usine de films amateurs" : un mini-studio de cinéma avec ses décors (rue, forêt, café, terrain vague…) où des groupes de huit à seize personnes viennent bricoler en trois heures montre en main un petit film selon la technique du tourné-monté.  Un système régi par un protocole assez strict mais dont le seul but est de "permettre à tous de participer et de s'amuser équitablement" : chaque décision est prise à la majorité, chacun doit apparaître au moins une fois dans le film, un seul dvd est distribué à la fin afin que les participants gardent contact, etc.

Au moment de la sortie de Soyez sympas, rembobinez (Be kind rewind), on avait pu penser à un gimmick comique (les films "suédés" par les compères Jack Black et Mos Def), d'ailleurs rapidement récupéré par un marketing malin ("toi aussi réalise ton film suédé…") : mais cette idée de films fabriqués en groupe avec les moyens du bord (dans Be kind rewind c'est tout un quartier qui se lance dans un biopic de la célébrité locale, le jazzman Fats Waller) est un vieux rêve de Michel Gondry ; un rêve qui s'est précisé et structuré au fil des années, avant que la notoriété acquise sur les plateaux de cinéma ne lui permette d'en lancer la concrétisation. Le réalisateur raconte longuement cette genèse dans le programme de l'Usine : dans ce (très beau) texte, ce rêveur que l'on imaginait solitaire s'y révèle obsédé par l'idée de communauté, "la notion d'appartenance, la chaleur, le groupe, la protection". Il y décrit comment sa réflexion sur le fonctionnement ultra-hiérarchisé d'un plateau de cinéma ou le caractère socialement exclusif des milieux artistiques, l'ont conduit à imaginer cette utopie d'un "système auto-suffisant permettant à un groupe de produire son propre divertissement"…

Du fait de ses origines versaillaises et son exil américain, son parcours brillant dans l'industrie musicale puis cinématographique, son univers poétique et farfelu, Michel Gondry a tout sauf l'image d'un réalisateur engagé. En sortant de l'Usine des films amateurs, qui bruisse depuis plus d'un mois d'une concentration silencieuse et de bruyants éclats de rire, on a pourtant le sentiment d'avoir assisté à l'un des projets de cinéma les plus authentiquement politiques du moment : tant les valeurs qu'il met concrètement en œuvre (la gratuité —à tous les sens du terme—, l'autogestion, la mixité sociale) sont aux antipodes de celles qui dominent nos sociétés actuelles (mercantilisme, consumérisme, individualisme, etc.).

Les enseignants et éducateurs pourront se récrier devant certains aspects du projet, comme sa dimension hédoniste (il s'agit avant tout de prendre du plaisir ensemble) et son corrolaire, son absence revendiquée de prétention pédagogique (on n'est pas là pour apprendre à faire du cinéma). Mais il y a sans doute beaucoup d'idées à puiser dans ce protocole, d'ailleurs déjà testé par Gondry en live en banlieue parisienne : le choix d'un genre et d'un titre comme déclencheur (ils permettent de délier les langues et de libérer les imaginaires), la grille de scénario simple et efficace, le principe de tourner-monter sans jamais revenir en arrière ("la perfection est votre ennemie !" dixit Gondry), la contrainte du temps et la "carotte" de la projection finale, et surtout ce fonctionnement démocratique qui permet à chacun de prendre du plaisir et d'exprimer sa créativité…

L'Usine des films amateurs, jusqu'au 28 mars au Centre Pompidou (prolongations ou reprise éventuelle, se renseigner auprès du Centre)

Pour aller plus loin : > Michel Gondry interviewé par Michel Ciment (Projection privée sur France Culture) > Soyez sympa, rembobinez sur Zérodeconduite.net > Entretien avec Michel Gondry