Musée haut musée bas : petit parcours philo

Musée haut musée bas : petit parcours philo

Le joyeux désordre que propose Musée haut, musée bas, adaptation à l'écran par Jean-Michel Ribes de sa pièce à succès, n’est pas seulement une satire des milieux culturel ou un parcours labyrinthique dans l’histoire de l’art. C'est également un égarement maîtrisé dans la pensée philosophique, dont témoigne une série d’allusions amusées aux grandes théories esthétiques. Petite visite guidée en trois étapes…

Art et nature…La plus grande trouvaille réside sans doute dans le renversement ironique de l’idéalisation de la nature (que l’art tenterait vainement d’égaler) en un mépris souverain pour toute production naturelle (dont seule la représentation artistique nous rendrait la vision tolérable). Cette conception radicale défendue avec hystérie par Mosk, le directeur du musée (Michel Blanc), combine les théories de l’art proposées par Hegel et Nietzsche. Son idéologie anti-naturelle n’est pas sans rappeler la thèse hegelienne d’une supériorité incontestable de la beauté portant la marque de l’idée sur la beauté naturelle. Si Nietzsche de son côté, pense l’art comme nécessaire, c'est que lui seul peut nous permettre de supporter la laideur du monde et de notre existence en nous la dissimulant. Ainsi les impressionnistes réussissent à faire passer cette triste ville d’Argenteuil pour un endroit idyllique, comme le signale le personnage incarné par Gérard Jugnot. Le film renverse la thématique classique de l’imitation, qui traverse l’esthétique, de Platon à Hegel. Ce n’est pas l’art qui mime le réel, c’est le réel qui en est une piètre caricature. Le réel, comme le dit le gardien interprété par Fabrice Luchini, c’est du toc ! Face à la beauté des chefs d’œuvre, même d’un tout petit vase précolombien, la trivialité du réel devient insupportable.

Oeuvre, chef d'œuvre ?Mais le film souligne également avec ironie les travers de cette sublimation par l’art, notamment dans l’art contemporain. Ce qui devient beau ne l’est plus que par le truchement de notre regard, indépendamment de toute forme d’accord des jugements. En abandonnant l’idée d’une « universalité » du jugement de goût, on s’abîme parfois dans des jeux ou des performances qui amusent —littéralement— la galerie mais dont la dimension artistique est ici interrogée avec humour. Le risque, c’est de postuler qu’il s’agit d’art et de se contenter de cette déclaration d’intention, comme l’avait fait, avec distance Marcel Duchamp avec sa Fontaine. Ainsi, des œuvres mineures se transforment en chef d’œuvre. Mais comme le souligne l’un des gardiens, « ce n’est pas la faute de l’œuvre, c’est nous qui décidons que c’en est une ». Cette décision n’a-t-elle pas pris une part parfois risible dans l’art d’aujourd’hui ? C’est ce que montre avec humour l’exemple de l’artiste contemporain tuant sa mère, dans une performance relisant au pied de la lettre les théories psychanalytiques. Suffit-il d’un discours plaqué sur un geste, pour faire de ce geste une œuvre d’art à proprement parler ? N’est-ce pas parfois dans son seul commentaire que l’œuvre trouve, a posteriori, sa justification ?Réception, consommationProposant une riche typologie du visiteur de musée, ce film reprend également de manière discrète la question du goût comme identifiant sociologique. Dans quelle mesure notre réception de l’œuvre est déjà conditionnée ? On peut penser ici à La distinction de Pierre Bourdieu : le goût en matière d’art apparaît clairement comme cet habitus, l’expression d’un conditionnement social où se manifeste un attachement parfois viscéral à tel ou tel peintre qui dénote d’un rapport d’identification très fort. Notre rapport à l’œuvre d’art, nos goûts et dégoûts sont éminemment révélateurs, ils nous distinguent. De même que la manière de consommer cet art, là encore, est un identifiant certain. Dans La Crise de la culture, Hannah Arendt stigmatisait la transformation des œuvres d’art en produits de consommation. Dans ce musée, de manière à peine exagérée on sert des gâteaux Mondrian. La consommation de l’œuvre est ici interprétée dans son sens littéral. L’œuvre d’art se transforme en tasse Van Gogh ou en sets de table Titien. A tel point que l’œuvre originale disparaît pour céder la place dans l’imaginaire populaire à sa présentation dans le calendrier de la Poste. Enfin, dans une dernière pirouette, le film s’achève sur un tableau apocalyptique, la nature semble prendre sa revanche sur l’art et dévaste le musée dans une tempête catastrophique. Faut-il rappeler que selon Kant, l’une de nos expériences esthétiques les plus fortes, l’expérience du sublime naît de ce mélange d’effroi et de fascination que provoquent les manifestations démesurées du pouvoir de la nature ?[Musée haut, musée bas de Jean-Michel Ribes. 2008. Durée : 1 h 33. Distribution : Warner Bros France. Sortie le 19 novembre 2008]

Pour aller plus loin :> Le site officiel du film> Un dossier pédagogique sur Musée haut, musée bas, la pièce> Mag Philo : L’art aujourd’hui

Le joyeux désordre que propose Musée haut, musée bas, adaptation à l'écran par Jean-Michel Ribes de sa pièce à succès, n’est pas seulement une satire des milieux culturel ou un parcours labyrinthique dans l’histoire de l’art. C'est également un égarement maîtrisé dans la pensée philosophique, dont témoigne une série d’allusions amusées aux grandes théories esthétiques. Petite visite guidée en trois étapes…

Art et nature…La plus grande trouvaille réside sans doute dans le renversement ironique de l’idéalisation de la nature (que l’art tenterait vainement d’égaler) en un mépris souverain pour toute production naturelle (dont seule la représentation artistique nous rendrait la vision tolérable). Cette conception radicale défendue avec hystérie par Mosk, le directeur du musée (Michel Blanc), combine les théories de l’art proposées par Hegel et Nietzsche. Son idéologie anti-naturelle n’est pas sans rappeler la thèse hegelienne d’une supériorité incontestable de la beauté portant la marque de l’idée sur la beauté naturelle. Si Nietzsche de son côté, pense l’art comme nécessaire, c'est que lui seul peut nous permettre de supporter la laideur du monde et de notre existence en nous la dissimulant. Ainsi les impressionnistes réussissent à faire passer cette triste ville d’Argenteuil pour un endroit idyllique, comme le signale le personnage incarné par Gérard Jugnot. Le film renverse la thématique classique de l’imitation, qui traverse l’esthétique, de Platon à Hegel. Ce n’est pas l’art qui mime le réel, c’est le réel qui en est une piètre caricature. Le réel, comme le dit le gardien interprété par Fabrice Luchini, c’est du toc ! Face à la beauté des chefs d’œuvre, même d’un tout petit vase précolombien, la trivialité du réel devient insupportable.

Oeuvre, chef d'œuvre ?Mais le film souligne également avec ironie les travers de cette sublimation par l’art, notamment dans l’art contemporain. Ce qui devient beau ne l’est plus que par le truchement de notre regard, indépendamment de toute forme d’accord des jugements. En abandonnant l’idée d’une « universalité » du jugement de goût, on s’abîme parfois dans des jeux ou des performances qui amusent —littéralement— la galerie mais dont la dimension artistique est ici interrogée avec humour. Le risque, c’est de postuler qu’il s’agit d’art et de se contenter de cette déclaration d’intention, comme l’avait fait, avec distance Marcel Duchamp avec sa Fontaine. Ainsi, des œuvres mineures se transforment en chef d’œuvre. Mais comme le souligne l’un des gardiens, « ce n’est pas la faute de l’œuvre, c’est nous qui décidons que c’en est une ». Cette décision n’a-t-elle pas pris une part parfois risible dans l’art d’aujourd’hui ? C’est ce que montre avec humour l’exemple de l’artiste contemporain tuant sa mère, dans une performance relisant au pied de la lettre les théories psychanalytiques. Suffit-il d’un discours plaqué sur un geste, pour faire de ce geste une œuvre d’art à proprement parler ? N’est-ce pas parfois dans son seul commentaire que l’œuvre trouve, a posteriori, sa justification ?Réception, consommationProposant une riche typologie du visiteur de musée, ce film reprend également de manière discrète la question du goût comme identifiant sociologique. Dans quelle mesure notre réception de l’œuvre est déjà conditionnée ? On peut penser ici à La distinction de Pierre Bourdieu : le goût en matière d’art apparaît clairement comme cet habitus, l’expression d’un conditionnement social où se manifeste un attachement parfois viscéral à tel ou tel peintre qui dénote d’un rapport d’identification très fort. Notre rapport à l’œuvre d’art, nos goûts et dégoûts sont éminemment révélateurs, ils nous distinguent. De même que la manière de consommer cet art, là encore, est un identifiant certain. Dans La Crise de la culture, Hannah Arendt stigmatisait la transformation des œuvres d’art en produits de consommation. Dans ce musée, de manière à peine exagérée on sert des gâteaux Mondrian. La consommation de l’œuvre est ici interprétée dans son sens littéral. L’œuvre d’art se transforme en tasse Van Gogh ou en sets de table Titien. A tel point que l’œuvre originale disparaît pour céder la place dans l’imaginaire populaire à sa présentation dans le calendrier de la Poste. Enfin, dans une dernière pirouette, le film s’achève sur un tableau apocalyptique, la nature semble prendre sa revanche sur l’art et dévaste le musée dans une tempête catastrophique. Faut-il rappeler que selon Kant, l’une de nos expériences esthétiques les plus fortes, l’expérience du sublime naît de ce mélange d’effroi et de fascination que provoquent les manifestations démesurées du pouvoir de la nature ?[Musée haut, musée bas de Jean-Michel Ribes. 2008. Durée : 1 h 33. Distribution : Warner Bros France. Sortie le 19 novembre 2008]

Pour aller plus loin :> Le site officiel du film> Un dossier pédagogique sur Musée haut, musée bas, la pièce> Mag Philo : L’art aujourd’hui